Rédigée par Julien D. / Mise en page par David D. Temps de lecture 14 mn.
Salut Moubarak, merci de prendre le temps d’échanger un peu sur ta carrière.
DansLaCiudad : Pour ma part je t’ai connu au même moment que beaucoup de tes auditeurs je pense.
C’était il y a 7 ans de ça pendant la semaine Planète Rap de Jul pour « Rien 100 rien » : t’amenais un truc très planant, brut mais presque triste dans les freestyles.
Depuis t’as eu l’occasion d’explorer d’autres atmosphères et j’ai l’impression que dernièrement tu reviens à cette empreinte mélancolique.
La question est un peu bateau mais après tant d’années de carrière elle mérite d’être posée : comment tu définirais ta musique ?
Moubarak : Franchement, je ne me suis jamais vraiment posé la question, j’ai toujours fait comme je le sentais. Le moment précis où je me suis dit « ok je suis en mode mélancolique à fond », c’est quand j’ai fait mon couplet sur Combien (« 13 organisé 1 », NDLR) en 2020. Avec les retours, c’est là que j’ai vraiment choisi d’aller dans ce sens, avant je prenais les instrus comme elles venaient. Donc ouais, une musique essentiellement mélancolique.
J’aime aussi aller dans la trap ou le boom-bap, j’aime ce qui bouge, mais j’ai grandi avec la musique du J : je l’ai vu faire, il m’a aidé à écrire plein de morceaux, et sa musique a forcément marqué la mienne. Mais j’essaye quand même de garder un morceau un peu plus rapide sur chaque projet.
Justement, quand on voit des titres comme « Hermano » ou « On a dit ça », on voit tes pas de côtés mais on ressent toujours une atmosphère particulière, c’est difficile à définir.
Dans ces cas-là c’est l’instru qui te fait choisir ou tu cherches précisément à travailler une ambiance ?
Ça se fait beaucoup au feeling, par exemple pour « Hermano » j’étais en Espagne avec l’équipe Sativa Music, j’ai reçu l’instru et je me suis dit « oh ça tue, je ferais bien un petit truc qui bouge » et voilà, on s’est réuni au studio avec Delajowy et Beny JR et on a fait le clip dans la foulée.
Je parlais de Jul aux côtés de qui on te voit depuis bientôt 10 ans dans une espèce de « garde rapprochée » sur différents titres avec des gars comme Houari ou Gips, à l’époque où le succès de Jul était déjà bien installé.
Est-ce qu’au-delà du tremplin que ça pouvait représenter, tu as aussi eu peur que ça puisse t’enfermer dans une case au début, ou te mettre une pression ?
Je vois ce que tu veux dire mais je ne me suis jamais pris la tête, les gens en parlent mais ça ne m’a jamais dérangé. Ça fait longtemps qu’on se connaît lui et moi, on est du même secteur, ce n’est pas arrivé en cours de route. Au début je ne faisais pas de vue, je n’étais même pas sur les plateformes, c’est le label D&P qui m’a poussé alors que je ne connaissais rien.
«…. Il avait trouvé l’idée de réunir des villes sur des sons dédiés – Marseille, Lyon et Paris..»
Depuis le temps les gens ont tendance à t’identifier comme l’un des principaux ambassadeurs de cette musique.
En regardant en arrière, ça me fait aussi penser à l’Allemand, qui a très tôt proposé un univers mi-gamberge mi-festif.
Comment s’est faite la connexion entre vous à l’époque ?
A la base c’était sur le projet « La Rafale » qu’on avait fait avec Jul, qui m’avait produit à fond, avec pratiquement toutes les instrus. Il avait trouvé l’idée de réunir des villes sur des sons dédiés – Marseille, Lyon et Paris. On a fait le son avec les lyonnais et l’Allemand était là, c’est Jul qui l’avait invité, on s’est vite bien entendu et on a fait plusieurs titres ensemble.
C’est vrai que dans ce domaine, le son « 1.3.6.9 » a mis en lumière les mecs à suivre, que ça soit TK ou toi pour Marseille, L’Allemand ou la Famax du côté de Lyon.
Maintenant, au-delà de voyager en France, ces sonorités touchent l’international, que ça soit l’Europe de l’est, du nord, et plus encore l’Italie ou l’Espagne.
Quel regard tu portes là-dessus, c’est une fierté ou tu te sens dépossédé de ce qui fait ton essence ?
Non, pour moi franchement c’est le J qui a ramené ça, c’est son ADN, et ça me fait plaisir que ça prenne. Je suis avec lui, je ne peux qu’être content pour le frérot et il l’est aussi. Quand on voit maintenant que ça reprend ce son en Allemagne, en Suède, en Espagne, que même certains grands artistes se sont inspirés de cette musique… Je le vois plus comme une fierté, je l’ai vu faire, je l’ai vu travailler dans son coin et maintenant ça explose à l’international. Je suis reconnaissant.
J’ai une anecdote là-dessus : quand on faisait 13 organisé 2, je tombe sur un TikTok du rappeur allemand Haaland936 qui commençait son morceau (« Tatütata », NDLR) avec un extrait d’un son de Jul. On voit des gros artistes explorer cette musique, et même des plus jeunes qui ont ça en eux et qui revendiquent Jul comme une inspiration majeure. C’est un plaisir de faire partie de tout ça et de voir les choses évoluer.
Ce qui m’interpelle depuis le début de ta carrière, c’est ta façon de construire tes projets. Là où ça marche bien, c’est que tu arrives à faire une musique très personnelle dans les textes tout en partageant les sons avec beaucoup de monde.
Tu te vois travailler autrement ou c’est un besoin ?
C’est du partage : dès que je m’entends bien avec quelqu’un ou que j’aime sa musique, je ne me mets pas de barrière et j’envoie. Par exemple dans le dernier projet il y a mon petit frère et aussi un rappeur d’ici qui s’appelle Ghost Dog. C’est quelqu’un avec qui j’ai participé à des ateliers d’écriture quand j’étais plus jeune, et il s’est retrouvé récemment à poser dans « 13 organisé 2 ». Le jour du grand freestyle, je lui ai dit que ça serait un plaisir de faire un son avec lui. C’est des petits trucs comme ça que j’apprécie, et même si la personne n’est pas dans le même délire que moi, ça peut donner un bon mélange.
Ton petit frère c’est Igrek du coup ?
Voilà ! Son tout premier son est sorti fin 2024 mais il a déjà beaucoup enregistré et franchement il me choque. Il m’apprend beaucoup, même s’il est plus jeune il a des facilités, je vois qu’il est baigné dans la musique. Il fait aussi des instrus… il est polyvalent.
Ok, ça me permet d’aborder la partie plus récente de ta carrière, puisque dernièrement tu balances plusieurs EP assez courts.
C’est une volonté de ta part d’envoyer les titres comme ils viennent ?
Ça dépend… Déjà, j’aimerais vraiment envoyer un long format cette année, le dernier remonte à 2023. Pour le dernier EP, j’ai vraiment réfléchi.
Ça se sent. Sur « Tout droit » et sur « Epreuves », on te sent un peu amer et touché par certains revers de la vie.
Là avec « Solide », tu parles de résilience, de déception, et même si ça a toujours marqué tes textes on a l’impression qu’il y a un peu plus de vécu dernièrement, comme si tu avais pris en maturité et que t’avais plus de recul sur les choses.
Tu as bien vu le truc. Pour te dire, c’est la première fois que j’ai fais ça : je suis allé m’isoler dans mon coin pour faire cet EP en Italie. J’ai pris du recul sur beaucoup de choses, le contexte fait ça aussi.
Je suis parti en me disant simplement « je vais faire un EP » et au fil des sons j’ai vu qu’il y avait une continuité.
Quand j’ai fait « Solide », j’ai remarqué que ce son collait avec le reste mais aussi avec les récents évènements dans ma vie personnelle : j’ai choisi que ça serait le titre du projet.
En visant sortir un plus gros format, tu penses rester dans cet univers ?
Non, je veux aller un peu partout, proposer un projet bien travaillé qui corresponde à l’idée que j’ai dans la tête. Pas forcément dans le propos et dans ce que je vais écrire, mais plutôt dans les thèmes, les feats… Le reste, je laisse ça venir sur le moment. Des fois j’ai des idées mais ça peut prendre une autre tournure, on est à l’abri de rien.
Si on se penche sur la tracklist de «Tout droit », ça représente bien ta discographie.
Des jeunes, des plus confirmés, mais des marseillais avant tout.
On y retrouvait notamment Alonzo, qui vient de sortir son 8ème album en plus de 20 ans de carrière…C’est un mur du rap français ! En plus c’est quelqu’un qui vient de ma ville, c’est beau tout ce qu’il a accompli.
« …il faut s’inspirer de ces expériences »
Quand on voit que tu mets en avant ton petit frère, que tu poses avec des jeunes comme Metah ou Achim qui commencent à avoir leur petit succès, ça m’interroge : avec l’expérience accumulée, tu te vois plus proche de l’ancien ou du « confirmé » qui veut donner de la force, ou juste comme un gars qui aime partager et qui veut évoluer au contact des autres ?
Non, je ne vois pas les choses comme « je suis là depuis longtemps et je vais donner de la force ». Je pense surtout qu’on apprend de tout le monde, grand ou jeune. J’aime la musique, c’est avant tout du partage. Metah je le connaissais depuis un moment, on avait déjà fait des sons ensemble, Achim à l’inverse je le connaissais pas du tout, j’ai commencé à suivre ce qu’il faisait.
Que ça soit des plus jeunes ou des confirmés, ce qui compte c’est qu’on trouve du plaisir à faire un morceau. Je ne calcule pas ce qu’on a pu me dire, comme « ça serait bien que tu poses avec des gars confirmés qui peuvent t’apporter » : c’est pas ma vision.
On y va, on se régale, et si ça profite à tout le monde tant mieux.
En somme t’as la vision « plaisir » de la musique, pas stratégique ?
Oui, après il faut faire les comptes hein ! (Rires). Il y a des labels, du monde derrière, je ne suis pas dans le monde des bisounours. Mais j’essaye de conserver ça le plus longtemps possible.
Comment tu vois la suite ?
Tu m’as parlé d’un long format, mais peut-être qu’il y a des gars avec qui tu aimerais collaborer, des artistes que tu écoutes et qui te font voir les choses différemment ?
C’est dur à dire, il y a beaucoup de monde avec qui je pourrais faire des feats. Même du côté des producteurs… moi j’enregistre surtout seul, j’ai mon matos, mais ça fait longtemps que je n’ai pas travaillé avec quelqu’un en particulier.
En ce moment je vois Naskid : sa façon d’envisager la musique, ça me parle. Même en tant que rappeurs, avec des artistes confirmés comme Rim’K, la FF, Mister You, Sniper… Par exemple il y avait Aketo sur « Classico organisé », c’était fou pour moi.
Sur la scène actuelle, j’écoute beaucoup Hamza, ou même Dinos. Sur « Hiver à Paris », le format de la tracklist, j’ai trouvé ça fort. C’est rare que j’écoute des albums, généralement c’est plus des sons que je pioche à droite-à gauche mais j’ai beaucoup aimé cet album.
C’est propre à Marseille cette capacité à mobiliser plein d’univers et de générations sans complexe, on voit que « 13 organisé » ça a ouvert plein de portes.
Clairement ! Je pense que sans ça, beaucoup de mes collab n’auraient pas vu le jour, ça a aidé à créer du lien humainement. A l’heure actuelle, il y a beaucoup de couleurs dans le rap marseillais, énormément de styles. J’espère que des jeunes vont exploser, je pense à Abdii d’la SF par exemple. Tu croises certains artistes en studio, tu vois qu’ils ont le goût du travail, à l’image de Zamdane récemment.
Toi, tu penses tenir ta carrière sur la durée comme les anciens dont on parlait juste avant ?
Non ! Je te le dis direct, je me vois pas du tout rapper pendant encore 15-20 ans. Je vis la musique à fond donc je pourrais rapper toute ma vie, mais il y a des choses plus importantes, comme la religion : c’est incompatible à long terme. Même à plus court terme, j’aimerais bien pouvoir accompagner des artistes, les aider à travailler. En fait, depuis 2018-2019 je me projette, je me disais déjà à cette époque qu’il faudra arrêter un jour ou l’autre.
Imaginons que d’ici plusieurs dizaines d’années, on parle de toi dans un reportage ou un débat. Tu aimerais qu’on te définisse comment ?
Déjà qu’on parle de moi ça ferait plaisir hein ! (Rires). Si on devait dire quelque chose de concis… j’aimerais qu’on dise que Moubarak a été là, qu’il a fait en sorte d’aider les gens à son échelle et de partager sa musique. Ça serait déjà très beau.
J’ai toujours essayé de faire partie du mouvement, d’apporter mon truc. Même si des fois je n’ai pas été sur le devant et que la lumière n’était pas pour moi, ça me fait quand même plaisir…
Merci d’avoir pris le temps d’aborder tout ça !
Je te souhaite le meilleur, en espérant écouter ce long format d’ici la fin de l’année.
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