Rédigée par Kosta R.  / Mise en page par David D. Temps de lecture 19 mn.

Ucyll : « Je fais pas de distinction entre la musique et le reste de ma vie »

Originaire du 18ème arrondissement de Paris, Ucyll revient avec Il peut voler, un EP solaire qui tranche avec l’univers électronique et torturé de son précédent projet REP Beuni. Influencé par la Funk, le Jazz et des sonorités acoustiques teintées de boom-bap, ce projet sorti le 4 décembre dernier pose une nouvelle pierre sur le chemin d’Ucyll.


Toujours maître de la composition et du mix, il invite Ajna sur “Moi”, le morceau le plus trap de l’EP, tandis que les visuels rétro signés Simon Stewart renforcent l’identité chaleureuse et assumée de l’album. Entre assurance débordante et énergie référencée, Ucyll brouille habilement les frontières entre sincérité et confiance affichée.


A l’occasion de cette sortie, nous avons discuté avec lui d’amour de la musique, de rêves et de solitude.

©fabienhemard_photographe

DansLaCiudad: Comment a commencé ton aventure dans la musique ?

UCYLL : Comment j’en suis arrivé à faire de la musique ? C’est grâce à ma maman quand j’étais petit. Faut savoir qu’on était comme plein de gens sans le sou* avec ma miff, mais ma mère a toujours mis un point d’honneur au fait qu’on puisse découvrir des choses, et a toujours garder une partie du budget familial pour nous faire découvrir des choses, faire des activités en dehors de l’école. Pour moi, ça a directement été la musique. Déjà, grâce à mes parents, j’avais l’habitude d’écouter de la musique à la maison, et donc j’ai commencé le conservatoire à mes six ans avec la guitare arabo-espagnole classique.
*sans argent

Quand est-ce que tu as commencé à véritablement t’enregistrer, à produire du rap ?

Moi j’ai commencé à faire des prods quand j’avais 13 ans, je suis sur toutes les prods de tous les projets que j’ai pu faire d’ailleurs. J’avais acheté un PC d’occas’ avec mes sous et c’est comme ça que j’ai commencé.

Puis t’as craqué FL Studio et on connaît la suite…

Ouais, c’est ça ! Puis je passais la moitié de mon temps à jouer aux jeux vidéos aussi. Et le premier texte que j’ai écrit, il est bien loin derrière le moment où j’ai commencé à vraiment m’enregistrer. Je rappais déjà en soirée, avec les potes, depuis un moment, mais le premier morceau que j’ai enregistré ça devait être en 2017, quand j’avais 16 ans.

Pour le dernier projet, IL PEUT VOLER, je me demandais quelles étaient tes inspirations musicales principales ?

Je n’ai pas forcément d’inspirations particulières étant donné que j’écoute de la musique en permanence et que mes goûts évoluent constamment. Je pense que c’était ce qui me galvanisait au moment où j’ai fait l’album, même aujourd’hui ça a encore évolué, si je voulais refaire ce projet, j’en serais incapable. À chaque fois que je termine des projets, je les aime quand ils sont finis, et je les aime toujours, ça met des pierres sur mon chemin, mais je suis déjà sur d’autres trucs.
Ceux qui m’inspirent au quotidien depuis des années, ce sont toujours les mêmes, y a le duo Makala-Varnish La Piscine, où c’est pour moi le meilleur producteur francophone qui a rencontré le meilleur rappeur francophone, c’est vraiment eux qui me donnent le plus de bonheur quand j’écoute de la musique.

Sinon, y a Flying Lotus côté production et aussi un Brésilien que j’ai découvert l’année dernière, Javier Santiago qui est un jazzman moderne que je conseille vraiment.

 

©fabienhemard_photographe

Il y a une vraie ligne directrice dans ton projet, mais dans IL PEUT VOLER, tu dis : « là je taffe sans savoir où je vais ». Comment as-tu construit ton projet : tu avais l’histoire en tête dès le début, ou tu as créé plusieurs morceaux avant de choisir ceux qui collaient le mieux ?

Jusqu’ici j’ai travaillé en ayant déjà une idée du chemin qu’allait prendre le projet. En général, ma boucle de productivité fait que, par la force des choses, je vais commencer à créer ma base, construire mon projet entièrement sonorement parlant puis produire un enchaînement de prods et voir ce qui me plaît dedans. Ensuite je passe un moment à m’analyser : qu’est ce que je vis ? Qu’est ce que j’ai envie de raconter ? Ma phobie c’est vraiment d’écrire un texte pour écrire un texte et y a des mois et des mois où j’écris rien, parce que j’ai rien à dire en particulier.

L’étape qui me prend le plus de temps c’est vraiment l’écriture, alors que la production, ça va être quelque chose de plus naturel, qui viendra plus facilement.

 

« …je pense notamment au R’n’B, à la soul, à la fusion… C’est ça qui m’inspire à fond !..»

Puis comme la prod c’est la première chose qui t’as animé dans le rap ça prend son sens. 

Ouais, c’est exactement ça.

Par rapport au jazz, tu m’en a parlé dans tes inspirations, et sur le premier son du projet « La chose » et sur le reste de l’album, il y avait des sonorités jazz dans les manières de construire les pianos. C’est quoi ton rapport à ce style-là ?

Déjà j’ai grandi totalement dans cette ambiance là, mais dire « jazz » c’est un peu comme dire « rap », ça englobe tellement d’autres styles… C’est d’abord une inspiration de mes parents, ça comme plein d’autres styles et c’est une énorme partie de ma consommation musicale en tant qu’auditeur, et c’est la plus grosse partie de mon inspiration. Mais bien sûr y a plein d’autres styles, même qui s’inspirent du jazz et qui m’inspirent moi aussi, je pense notamment au R’n’B, à la soul, à la fusion… C’est ça qui m’inspire à fond !

Ok, vraiment trop cool ! J’avais une question…

T’avais une question dit donc ? (Rires)

Ouais, trop bizarre, j’avais une question qui vient soudainement de me venir à l’esprit ! J’vais la faire à la Mehdi Maïzi. Dans « Personne ne m’écoute » tu dis « j’aimerais trop pouvoir suivre mes rêves mais ça devient trop chelou quand je rêve de moi ». Gamberge.

Ouais, gamberge (rires)

Après les concerts que t’as pu faire, tes projets sortis, tu considères que t’as pu déjà accomplir certains de tes rêves ? Et de quoi tu rêves encore ?

Non, je pense pas avoir réalisé de rêves encore. Pour parler personnellement, mes rêves sont énormes et une problématique majeure dans ma vie c’est de savoir si je serai un jour fier de ce que j’ai fait, est ce que je serai fier de mon parcours ? Je suis encore au tout début de mon aventure et j’ai réalisé aucun rêve pour l’instant.

Oui, c’est que le début. Mais même pas des concerts que t’as pu faire ?

Je suis très content de la vie que j’ai en tant qu’artiste, mais… mes rêves sont bien plus grands que ce que j’ai pu faire jusqu’à aujourd’hui. C’est clair.

Les passes-passes sur le seul feat du projet avec Ajna sont super bien maîtrisés. Comment s’est faite la connexion entre vous ?

La connexion elle est marrante parce qu’on a fait ce son y a plus d’un an, avant l’été 2023 ! Il a passé deux jours à la maison et on s’est super bien entendu.

De base, j’avais entendu parler de lui par un ami, j’étais allé l’écouter et j’avais kiffé sa proposition donc je suis allé lui envoyer un DM sur Instagram mais j’ai vu que j’étais passé à côté d’un DM de lui à l’époque de la sortie de « REP Beuni » où il m’avait félicité de la sortie du projet.

La connexion elle s’est faite hyper naturellement vu que lui il aimait déjà ce que je faisais, moi aussi, donc on est devenu frérots très vite. Aujourd’hui c’est un mec que je respecte énormément, j’aime beaucoup son art, sa personne, c’est, je pense, ma meilleure connexion dans la musique – hors les mecs de mon équipe -.

Ouais ça s’est senti, et même l’outro avec tous les synthés, le jeu de basses… c’était vraiment incroyable.

Ahah il fallait, il fallait !

«Tout ce qui va être « Moog », « Prophet », « Juno », « Jupiter » … ça c’est vraiment les sons que j’aime….»

C’est quoi les instruments que t’as utilisés ?

Jusqu’au jour où j’aurai des thunes pour acheter des vrais synthés analogiques qui coûtent 10 000 euros pièces, pour l’instant je bosse sur des émulations de synthés un peu mythique, ça c’est les sonorités qui me font kiffer ! Tout ce qui va être « Moog », « Prophet », « Juno », « Jupiter » … ça c’est vraiment les sons que j’aime.

Je te souhaite d’avoir un studio à ton goût alors ! En plus quand t’as tout ce matos-là après t’es en mode créatif, c’est trop bien.

Oui, en plus j’ai pu goûter à ça, au vrai hardware, quand je suis allé au studio RedBull pour un séminaire de deux jours. C’était absolument magique et tout ce qu’on a pu produire là-bas va être distillé en cours d’année donc j’ai bien hâte ! J’suis rarement fier de moi mais là je suis vraiment content de ce step là. Moi, toute ma vie on m’a répété, par la force des choses, « t’as pas besoin d’argent pour être bon, y a que le travail et le talent » mais j’ai un peu découvert que, même si t’a du talent à fond, il peut y avoir une espèce de plafond de verre par rapport au matériel.

D’être dans un studio, ça galvanise pas pareil que d’être dans sa chambre miteuse tu vois ?

Ouais, puis je pense que tu peux aller chercher des sonorités plus poussées quand t’as des vrais instruments face à toi.

Oui clairement, les sensations sont pas pareil, la confiance en toi est différente… les émotions que tu sors sont multipliées par tous les sens qui sont mis en jeu. Rien que le toucher…ça donne une énergie de fou, et j’ai bien hâte d’envoyer ça !

Dans « Tout ce que Dieu fait », tu parles beaucoup de solitude, d’un côté, tu dis avoir peur d’être seul mais de l’autre, quand on fait de la musique en autodidacte, on est beaucoup confronté à cette solitude. C’est quoi ton rapport à la solitude ? Comment tu perçois cette sensation ?

C’est complexe, parce que, pour moi ou même pour des gens proches de moi, que la solitude c’est à la fois une détresse et un besoin. Parfois ça sera source d’angoisse, et parfois ça sera source d’apaisement et de calme. Mais je pense que c’est pareil pour tout le monde. 

Et quand tu fais de la musique tu préfères être comment ?

C’est la même chose. Parfois j’ai besoin d’être seul et parfois je peux ne rien faire si je suis pas accompagné… Ça dépend d’où j’en suis, c’est quoi ma mentalité du moment. Vu que la musique c’est ma vie, je fais pas de distinction entre la musique et le reste de ma vie. Je peux pas les dissocier, je suis le même que je mange, ou que je fasse de la musique. 

Quand tu manges tu lâches des freestyles ?

Le freestyle devant les pâtes carbo’ il envoie du lourd. (Rires)

A la fin du projet, on entend un enregistrement où ton père dit « il peut voler ». Comment t’as choisi ce titre pour le nom du projet ?

Ce titre là je l’ai trouvé dans la vidéo justement ! C’est tombé sous le sens comme un signe du destin. On avait très peu de sorties possibles et lui en faisant de l’intérim, il avait bossé sur le salon de l’aviation au Bourget, et il avait eu des places. Il m’y avait emmené, et on avait vu des avions, des fusées… toute cette discussion, faut l’imaginer devant des avions hors services. Et je lui pose cette question d’enfant « est ce qu’ils peuvent voler ? » et lui c’est là où il me dit « oui bien sûr, il peut voler », et je sais pas… Je crois que ça m’a touché, c’était comme une révélation quand j’ai revu la vidéo.

A partir du moment où j’ai eu une émotion aussi forte, c’est que ça fait sens. C’est une logique implacable pour moi, mais je préfère pas y réfléchir plus que ça et laisser l’interprétation aux gens. Voyez-y ce que vous voulez tant que ça peut vous faire ressentir le projet au maximum, tant que ça peut vous motiver à faire des choses. Ma relation avec ce titre et tout ce qui est découle est personnelle, tout comme ce sera personnel avec chacune des personnes qui va prêter l’oreille au projet.

C’est quoi la suite pour toi ? Est-ce que y a des gens avec qui tu as envie de travailler… des projets que t’aurais envie de faire… ?

Depuis que je fais du son, j’ai pas collaboré énormément et je pense que c’était une bonne chose, j’ai pu me découvrir, savoir ce que j’aimais faire, prendre confiance en moi… Mais cette année j’aimerais beaucoup m’ouvrir à la collaboration au niveau de la production. J’ai déjà pas mal de noms en tête, des gens avec qui j’ai commencé à travailler cette année, que je vais essayer d’approfondir… Après je sais pas encore. Moi j’ai des rêves, je pense à Varnish La Piscine, ça serait un peu un but dans ma vie de bosser avec des mecs comme ça tu vois, mais bon, c’est pas le gars qui collabore le plus au monde.

Pour ceux qui ne connaissent rien à « Ucyll » ça serait quoi ton top 3 de ton dernier projet ?

C’est une question assassine que tu me poses (rires). J’ai tellement gambergé sur tous les morceaux, je les aime tous au même niveau. Après je dirai que l’outro Il peut voler me touche particulièrement et est dans mon cœur un peu plus que les autres. Après en deuxième je mettrais « Lego » parce qu’elle est aussi très importante pour moi. Et en troisième je mettrais « Grands espaces » parce que ça kick et j’ai pas trop eu l’occasion de kicker dans ma jeune et courte carrière rapologique, mais Dieu sait que j’aime bien ça et que je me suis bien amusé à envoyer mes meilleurs flows – en toute humilité – et ça m’a fait du bien de faire ce morceau-là.

Pour conclure, j’ai une dernière question de puants à te poser…

Oula… combien de douches par semaine mon frérot, combien ? (rires)

Ça va parler VST… c’est quoi ton plugin préféré ? (VST = Virtual Studio Technology – instruments virtuels pour composer – ndlr

Mais mec, mais clairement, c’est le genre de questions que je veux frérot ! Y a une période où j’avais beaucoup de VST, puis je me suis dit « eh, c’est trop épars » je vais essayer de me faire 3-4 VST où je compose que là-dessus pour avoir une espèce de constance et pas chercher des sons pendant deux heures… et je dirai que mon classique de chez classique ça reste « Labs », les gens savent que le soft piano de Labs est incroyable pour faire des mélodies. Mais là où j’ai cassé mon crâne cette année c’est la société « Teletone Audio » et eux pour les batteries acoustiques ils sont vraiment forts. Mais des fois je vais aller chercher des sessions de batteurs que j’aime et je vais chercher si ils ont pas fait des collabs, pas sorti des one shots de leur drumset…

Et même pour les voix, c’est à moitié de la technique et du sens artistique et j’essaye de respecter le métier le plus possible…

Tes voix sont vraiment bien mixées, à chaque fois je chockbar devant le poulet – pour parler comme un jeune.

(rires) Tu chiales devant le chicken ? Comme diraient les sherpas de Inoxtag

Ahah, Manish le sang…

Putain, merde, il a les blases ! (Rires)

C’était un plaisir de parler avec toi ! 

Plaisir partagé, à bientôt le boss !

– Montage & Post production : Simon Stewart
– Production exécutive : Sacha Lenoir
– Prod : Ucyll
– Mix : Ucyll
– Master : Pieter De Wagte

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