Rappeur marocain âgé de 27 ans, Taha Fahssi aka ElGrandeToto a connu un développement à vitesse grand V.
Dès son premier titre 7elmet ado, publié en 2016, il est très vite soutenu et apprécié par la jeunesse marocaine, se sentant représentée par les récits de cet artiste originaire du quartier de BENJDIA, dans le centre de Casablanca. Conquis par sa signature vocale, ses récits d’un écorché et son excentricité visuelle…
Il développe très rapidement une fanbase solide qui porte ses clips sur Youtube, mode de consommation de la musique le plus utilisé par les jeunes marocains, affolant très vite les compteurs de vues.

S’il sort de nombreux titres marquants, tels que Pablo ( 1 et 2) ou la série de 7elmet ado, dont les stats se comptent en millions de vues, ce n’est qu’en 2021 qu’il passe le cap et offre son premier album Caméléon, qu’il définit lui-même comme une carte de visite à l’international.
Cet album, au casting XXL (Hamza, Damso, Lefa, Small X, …) lui permet de se faire un nom de l’autre côté de la méditerranée porté par une diaspora marocaine qui le soutient et par des feats de choix ciblant un public rap européen.
Après 2 années chargées, entre polémiques, exploitation de son album à l’international et retrait médiatique, il revient avec 27, un album personnel et poignant où il  aborde avec rage et sincérité la genèse de sa carrière artistique, un incendie qui a ravagé le domicile familial en 2016.

Focus sur cette ascension folle. 

Précision:
EGT = ElGrandeToto, est une abréviation utilisée par l’artiste lui-même.

Le rap n’était pas une évidence

Pour Taha Fahssi, fils d’un marin et d’une employée de banque, le rap n’était pas une évidence, tant le rappeur semble avoir eu mille vies. Si la musique est omniprésente dans sa jeunesse, ce n’est pas le premier moyen d’expression vers lequel il se dirige. Danseur assidu de Hip-hop, élève doué mais difficile à canaliser, il rate le bac et abandonne les études, se plongeant à coeur perdu dans un groupe d’ultra d’un club de football, le Wydad Casablanca, dont l’enceinte, le stade Mohamed V est réputé mondialement pour sa ferveur. Par cette activité, il côtoie une violence résonnant avec ses frustrations.

Comprendre ce don de soi total à cet art est une chose rendue plus aisée par son dernier album 27.

Album 27

 Sorti le 24 novembre dernier, 27 est un album où l’authenticité prime.

Cover Album 27 El Grande Toto

Une porte enflammée 

La cover, co-réalisée par Fifou et Romain Garcin montre une porte enflammée, les flammes sont hautes et menaçantes et ne laissent aucune issue à ceux qui se trouvent potentiellement derrière. Par cette cover, ElGrandeToto se livre et nous partage un moment traumatisant et fondateur de son histoire. C’est un pan de l’histoire familiale sur laquelle il revient avec nous. 

En effet, le 27 mai 2016, la vie de la famille Fahssi et de dizaines d’autres familles du quartier de Benjdia bascule. Vivant dans un appartement situé au-dessus de boutiques de parfumeurs, ils voient leur domicile saccagé par un incendie dévastateur déclenché accidentellement dans la parfumerie du dessous. Les flammes détruisent tout. Des centaines de personnes se retrouvent sans logement et la famille de Taha perd tout. Alors qu’il tentait d’adopter un mode de vie calme et plus conventionnel, étant à cette époque employé dans un centre d’appel, ce drame sonne la prise de conscience pour Taha qui décide de s’adonner pleinement à ce qui l’habitait déjà, le rap.

Il devient alors ElGrandeToto et envoie son premier titre, 7elmet ado, 6 mois plus tard.

Un album personnel où il se livre autrement.

Fort de près de 5 ans d’étapes gravies progressivement et de singles ayant connu un franc succès, tels que Pablo, il sort son premier album, Caméléon, le 5 mars 2021.

Si l’album comporte quelques titres où l’artiste s’ouvre totalement tel que Mghayer, titre dédié à sa mère décédée qui provoque une émotion vive à chaque fois qu’il le performe sur scène; la majorité du disque s’articule autour de l’égotrip et de la performance où Toto fait éclabousser son talent aux yeux de tous, croisant le fer avec des artistes qui nous sont familiers: Damso, Hamza ou Lefa sont ainsi présents sur l’album. Ce dernier l’initie ainsi  au public francophone et s’en suivent de nombreuses collaborations franco-marocaines (Koba la D, Niro, Ashe 22 ou Demi-Portion). Cassant cette barrière, le champ était libre pour un album plus ouvert.

Second disque de sa carrière, 27 peut être qualifié d’album plus équilibré où ElGrandeToto se montre fidèle à lui-même: poignant et authentique. Assisté de Guilty, chargé de la réalisation artistique, le rappeur marocain se livre dans des sonorités restituant un condensé de ses influences. Guilty se mue en chef d’orchestre et permet, notamment par l’étroite collaboration avec Nouvo et Double A (deux compositeurs marocains très proches d’EGT), de donner une épaisseur à la musique d’EGT tout en conservant, par le lien avec ses influences, ce qui fait sa flamme.

Conservant des thématiques qui lui sont chères; misère sociale, sacrifice et amour de ses proches, ambition, jeunesse au maroc et frustrations, la forme du projet se veut plus souple.

 Si le début d’album est tonitruant avec les titres 27 et Sarcelles où Toto expose sa brutalité, des respirations sont très vite intégrées par des morceaux tels que MAGHRIBI ou DELLALI, permettant un album plus digeste et complet.

L’album est écrit avec rage alors qu’une polémique avait éclaté au Maroc concernant une prise de position publique où il avait assumé consommer du cannabis, entraînant une peine de 8 mois avec sursis et un retrait médiatique à la suite de plusieurs plaintes déposées à son encontre pour atteinte à la moralité. Cette rage est perceptible tout au long du projet. Il revient sur cette période douloureuse, avec le titre Bghawni (ils veulent que je) où il évoque les envies et les souffrances qu’il subit en tant qu’artiste de renommée internationale, et de l’isolement provoqué par son statut.

(“Bghawni n3ess ou nfi9 miyet” : littéralement ils veulent que je m’endorme et me lève mort.)

En effet, l’excentricité et le franc-parler d’EGT peuvent déranger. Par son art, il porte les maux d’une jeunesse lasse et désabusée qui voit ses rêves partir en fumée dans un pays où le chômage frappe les jeunes avec dureté. 

Le titre Maghribi (marocain) vient représenter à merveille cela, EGT s’y donnant le temps d’un titre le rôle de haut parleur de cette jeunesse si tentée de regarder vers l’ailleurs dans l’espoir d’un futur meilleur. 

Il offre donc une étoffe supplémentaire à son art en s’ouvrant, conservant toujours cette base trap-égotrip qui l’a fait exploser sur des morceaux tels que Sultan ou 27. Le choix de poser sur un morceau totalement rappé avec Morad montre d’ailleurs cette adn du sultan marocain qui, alors qu’il aurait pu se risquer à un morceau mélodieux qui aurait sans nul doute connu un franc-succès privilégie un titre dur dans cette collaboration avec le maroco-espagnol. Mais comme souvent EGT prend à contre pied et surprend.

Il a d’ailleurs évoqué au micro de Mehdi Maïzi, un potentiel projet commun avec Morad avec qui il entretient une relation humaine et artistique riche.

Enfin, le projet lui permet de s’ouvrir à d’autres publics. Collaborant avec Rondodasosa et Unknown T, il fait découvrir son art aux auditeurs italiens et anglais de ces mastodontes dans leurs pays avec les titres “MEZZANOTTE” et “HASH N’BLEM”.

De même, alors qu’il a, ces deux dernières années, initié un rapprochement musical avec le Nigéria via des collaborations avec Ckay ou Ayra Starr, il prolonge cela en invitant Oxlade sur le très bon “Like That” aux sonorités afrobeats. 

27 offre donc de nouvelles perspectives pour Toto et donne à voir des facettes qu’on ne connaissait pas en lui comme sur Dellali, ce feat avec Hamza reprenant des sonorités Raï où EGT va jusqu’à convaincre le prodige bruxellois de pousser la chansonnette en arabe sur quelques mesures.

La darija comme moyen d’expression

Au-delà d’offrir un disque solide, EGT porte de nombreuses revendications et symboles sur cet album; au premier rang desquels, la langue qu’il utilise pour rapper.

Effectivement la langue des textes d’EGT est la darija, langue la plus parlée au Maroc reposant sur un mélange entre arabe classique, dialectes berbères, français,et espagnol. ElGrandeToto réalise la prouesse de dépasser la barrière de la langue par sa signature vocale et la musicalité permise par la darija.

Artiste arabophone le plus écouté sur Spotify ces dernières années, il montre le potentiel à l’export du dialecte marocain, utilisé par seulement 35 millions de personnes dans le monde. 

On note une bascule dans ces textes. Si l’arabe et l’anglais venaient fréquemment côtoyer la darija sur Caméléon, 27 est à très grande majorité écrit en darija, EGT revêtant de fait le rôle d’un ambassadeur culturel du Maroc et de sa langue; 

Portant fièrement le drapeau sur scène, on ne peut ignorer le potentiel revendicatif dans ce choix de langue, y voyant là un refus de rapper dans une langue qu’il maîtrise mais n’est pas sa langue maternelle sienne, à des fins mercantiles.

Unir et mettre en lumière

Plus que le représentant du rap marocain à l’étranger, il entend également incarner l’union et participer au développement de cette culture au Maroc. 

Il met ainsi en valeur dès qu’il en a l’occasion Nouvo et Double A, avec qui il travaille depuis de longues années et qui contribuent grandement à cette effervescence que la scène rap marocaine vit en ce moment. 

Prolongeant cette volonté d’union, il reprend ainsi le 13 organisé de Jul en réunissant 11 rappeurs marocains de diverses générations autour du titre Salina (Dont Small X Draganov Dollypran, Ouenza, 7liwa ou Khtek) clippé à Casablanca par Anas Beriane.

Conclusion

Profondément aimé par la jeunesse de son pays natal, le fils du marin a pris le large et vogue en quête d’endroits où sa musicalité parlera à d’autres écorchés comme lui.

Toutefois, il n’oublie pas d’où il vient et son rêve de carrière se situe à Casablanca, la ville où il a grandi. Alors qu’il était autrefois ultra du Wydad de Casablanca, dont le stade est le stade Mohamed V, il a récemment confié à la télévision marocaine que remplir ce stade mythique lors d’un concert exceptionnel était un de ses objectifs. 

Touchant, brut et authentique, EGT est un artiste à part, un artiste qui fait du bruit et dérange. Un artiste qui donne à voir des réalités dures et qui touche, par sa musicalité, des millions d’auditeurs dans le monde. 

Il réalise le rêve de sa mère, partie au ciel, en remplissant l’Olympia en novembre dernier lors d’un concert exceptionnel. Un prochain concert est prévu au Zénith de Paris le 8 novembre 2024. En attendant, il poursuit sa tournée mondiale et émeut des salles entières, de Barcelone à Montréal. Plus que jamais, l’horizon semble à sa portée…

Écrit par Anas M. (Nasss2m_ sur iG)

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