CHRONIQUE: Limsa d'Aulnay, portrait d'une carrière logique

par | Juin 12, 2023 | Chronique, Rap

CHRONIQUE: Limsa d’Aulnay, portrait d’une carrière logique

JPJ

Rédigé par Julien D.

Le constat est clair : les années d’absence et d’errance artistique sont derrière lui. Le natif d’Aulnay semble enfin avoir pris goût à la régularité.

Retour sur la carrière de Limsa d’Aulnay.

Un Grünt et une suite logique ?

Limsa est un rappeur imprévisible à la discographie déconstruite. Pourtant apparu auprès de belles références de la scène françaises comme Sefyu ou Zesau, il ne sort que deux projets solo lors de la dernière décennie et reste dans un certain anonymat aux yeux du grand public jusqu’au début de cette décennie.

Après avoir ponctuellement brillé sur les Grünt de ses collègues, il bénéficie d’une toute nouvelle exposition en mars 2020 et passe un step en dévoilant la Grünt #42 au cours de laquelle il invitera plusieurs de ses compères, avec en point d’orgue le délicieux enchaînement LesramLimsa sur l’instru de Peur noire d’Oxmo Puccino.

Celui qu’on voyait jusqu’ici comme un personnage marginal s’ancre alors un peu plus dans le paysage rap français, en démontrant sa grande capacité d’interprétation et déployant une technique fine déjà riche en gimmicks.

Bien décidé à enchaîner, Limsa sort l’EP Logique part.1 en juillet 2020, qui lui permettra de capitaliser sur la visibilité du Grünt. 

keroué-à-la-recherche-de-lumière
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Celui qui se définit comme « un branleur » avouait à l’époque que le covid l’avait contraint à s’occuper lui-même de la construction et la sortie de ce projet : en résultent 5 titres estampillés Logique Records, le gimmick devenant alors une réelle marque de fabrique pour l’Aulnaysien.

Limsa débite, fredonne, ouvre son univers et annonce la couleur avec une pochette faite de collages, indiquant par ailleurs vouloir se défaire d’une image naissante de « freestyleur » pour proposer plus de nuance lors d’une interview accordée au Chroniqueur Sale à la sortie de l’EP.

Un format efficace qui privilégiera l’introspection de l’auditeur et la lecture répétée des titres pour lui laisser le temps de se pencher sur des textes qui fourmillent de références et de morceaux de vie.

On retiendra notamment le morceau 4 décembre, date de naissance du rappeur, dans lequel il se montre mélancolique et résigné en faisant le pont entre sa jeunesse et sa vie actuelle (« Toujours un ado ton grand corps te l’rappelle », « T’façon gros sac, hier ressemble à main-de »).

keroué-à-la-recherche-de-lumière
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C’est d’ailleurs à cette date qu’un second opus de Logique sortira dans la lignée du premier, marqué cette fois d’une ouverture à la Belgique où Limsa s’est récemment installé.

Il n’en oublie pas pour autant son fief natal et lui clame son amour à travers le titre ASB, mais il met à l’honneur deux de ses comparses du plat pays à travers deux feats : Ça m’arrange aux côtés de JeanJass, et Starting Blocks, où Limsa et Isha posent un regard désabusé sur leur environnement ; une rencontre d’ailleurs soulignée par un clip (chose rare chez Limsa à l’époque). Les thèmes sont cohérents avec l’EP précédent, les textes interpellent, et la machine semble enfin lancée.

keroué-à-la-recherche-de-lumière
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Pourtant, la dernière pièce du triptyque ne verra pas le jour avant 2022. Est-ce dû au retour des vieux démons de Limsa, reparti pour la glande et l’incertitude ? Pas vraiment. On devine plutôt un besoin de digérer cette récente percée.

Dans une interview donnée à Nikita d’Aloha News en 2022, Limsa évoquait sa surprise de pouvoir vivre de son activité artistique : « ça fait tout drôle de voir les revenus tomber et grossir, j’ai pu me consacrer à la musique ». L’audience se développe et l’aulnaysien se sent écouté. Il enregistre maintenant chez lui, et peut se libérer de toute contrainte et explorer les pistes.

Limsa sort alors son dernier opus le 18 février 2022 et étale toute sa palette : un regard sincère et sans fioriture sur la vie en banlieue parisienne, une mélancolie omniprésente et des textes richement référencés en font un observateur souvent cynique et toujours sensible du temps qui passe. 

Si l’entrée en matière à travers Faux départ est plutôt posée, Limsa se révèle entêtant sur Footballeur et nous livre un J’me sens fou ce soir scindé en deux parties qui illustrent parfaitement la complexité de ses considérations. La première, électrique, nous offre un Limsa percutant et euphorique rendant hommage à sa ville (« Moi j’trouve qu’Aulnay c’est magnifique ») mais pris entre sa jeunesse et l’avenir qui approche. La deuxième partie, elle, révèle un Salim bien moins confiant et en proie au doute : « Faut que j’shoote comme un bazooka/ et faut que j’rafale comme un Uzi / faut qu’j’évolue, que j’fasse de la zumba / mais je reste dans le passé comme un puriste ». Il sait aussi se muer en crooner décomplexé sur Black room à mi-chemin entre l’amertume et la parodie – l’occasion d’ailleurs de nous rappeler que cet opus est le dernier d’une trilogie, « C’était logique comme 1,2,3 ».

Ce troisième EP offre une clôture de grande qualité au cycle Logique mais il intrigue aussi bien l’auditeur que l’artiste sur la suite de sa carrière. En effet, l’annonce est très claire dans Comme la lune, puisque Limsa nous indique que la fin est proche : « Logique 1, 2, 3 l’bum-al puis j’arrête ». Une information surprenante de la part d’un artiste au parcours incertain et irrégulier chez qui on ne soupçonne aucune planification, qui se heurte forcément au constat de l’ouverture de l’EP, l’artiste questionnant « Si tu m’enlèves le rap, qu’est-c’tu veux qu’j’bricole ? »

De toute façon, qui autoriserait un artiste à prendre si vite sa retraite après des démonstrations comme « Elle fait la folle, elle veut d’l’alcool, y’a qu’le Turc qu’est ouvert / J’lui dis : « C’est mort l’alcool c’est cher chez un Turc » / Après 4 verres, elle s’met à 4 pattes comme si elle cherchait un truc » ?

Le succès, c’est pour maintenant ?

Cette surprenante période d’activité liée à la sortie de la trilogie a évidemment conduit Limsa à devenir un protagoniste de la scène rap de plus en plus identifié avec de multiples apparitions, traînant sa gouaille dans les studios de Mouv, ou encore devant les caméras de Clique, Grünt ou Alohanews. Tantôt réservé tantôt blagueur, Limsa séduit et il finit même par figurer au casting rafraichi de la quatrième saison d’High et Fines Herbes aux côtés de ses deux amis techniciens, Caba et JJ.

Une prestation à l’image de sa musique : un esprit de compétition tout en restant bon joueur, quelques vannes bien senties et un gaillard qui s’abrite parfois des caméras pour observer les scènes avec un peu de recul (ou peaufiner le bronzage rougeâtre de son cuir chevelu dénudé). On notera un talent de rouleur plus qu’approximatif qui aura néanmoins suffi à consolider l’engouement d’un nouveau public pour Limsa, comme quoi un échec (aussi cuisant soit-il) peut avoir du bon.

Pour consolider le succès de ses projets précédents et profiter de la vague High et Fines Herbes, le rappeur peut compter sur une programmation très dense sur différentes scènes à travers la France. Il se fait peu à peu la main sur dans des petites salles et prouve progressivement sa capacité à tenir un show, comme en 2022 avec un passage Dans le club pour Arte et plus récemment en assurant la première partie de Lomepal en Belgique. 

Cette période faste dans sa carrière s’applique également à la musique. Outre le très rythmé S.D.E produit par Dj Weedim, Limsa ne sort rien en solo mais accumule les apparitions remarquées. Celui qui nous confiait en 2015 ne pas vouloir « être identifié comme « le mec à feats », celui que t’invites sur un son juste pour faire un gros couplet, et salut. » semble maintenant s’être pris au jeu.

On le retrouve donc lié à de très bons rimeurs et à des amis de longue date (l’un n’empêche d’ailleurs pas l’autre), figurant évidemment sur la BO d’High et Fines Herbes mais aussi aux côtés d’Alkpote, Aketo ou Keroué, sur le très convaincant Symphonie avec Souffrance, et plus récemment sur le titre Trucs sentimentaux avec Ben PLG. On devine que Limsa est particulièrement demandé pour ses talents de découpeur et on en viendrait presque à penser que l’aulnaysien a fini par trouver une recette magique tant les performances s’enchaînent avec qualité et précision. Heureusement, il existe un homme capable de l’entraîner sur d’autres terrains : il s’agit d’Isha.

Le facteur ISHA

Sa collaboration avec Isha ne se limite pas au très bon Starting block dont on parlait plus tôt. On a pu apprécier la présence d’un feat berçant et surprenant entre les deux artistes sur la tracklist du premier album d’Isha, Labrador bleu. Ce petit ovni nommé Modou démontre toute l’alchimie entre Limsa et Isha, et ce dernier ira d’ailleurs jusqu’à inviter son collègue aulnaysien sur la scène de la Gaîté Lyrique en mars 2022 pour l’annonce fracassante d’un projet commun.

Sandra Gomes et Raphaël Da Cruz ont joué de leur statut d’insider fin 2022 pour confirmer qu’un projet était effectivement bien entamé et qu’il devrait « sortir bientôt ». Reste à savoir quand… Plus récemment, l’aulnaysien plutôt actif sur les réseaux aura profité d’une story pour confirmer une sortie avant la fin de l’année. 

Si l’on dispose à ce jour de très peu de ressources pour imaginer à quoi ressemblera ce projet, l’engouement est immense. Notre curiosité a d’ailleurs été partiellement satisfaite avec l’excellent Le chant des cigales dévoilé sur scène par Limsa puis lors du planète rap de Lomepal. Ceux qui espéraient que ce projet verrait le jour début 2023 sont donc forcés de revoir leur copie et nous attendons patiemment.

Il faudra effectivement beaucoup de patience pour apprécier la mixture de ces deux artistes qui ont toujours pris le temps de bien faire les choses. Isha a goûté au succès un plus tôt que Limsa, mais tous deux ont réellement percé sur le tard. Leur discographie suit d’ailleurs une trajectoire similaire puisqu’Isha avait lui aussi préparé le terrain entre 2017 et 2020 avec la trilogie « La vie augmente », lui permettant de mûrir tant sur le plan personnel qu’artistique avant de livrer un premier album. 

Supposons alors que Limsa ne se perd plus dans sa flemme mais qu’il apprend désormais à être patient et à peaufiner son art en suivant les pas rassurants de son partenaire bruxellois. Leur complicité se retrouve sur de nombreux aspects et facilite grandement la collaboration artistique : au cours d’une interview donnée à The Backpackerz, Isha évoquait « Quand j’écoutais des interviews de Limsa, je réalisais qu’il disait des choses que j’aurais pu dire moi-même », et l’aulnaysien de compléter : « on retrouve aussi bien chez lui que chez moi le même rapport au passé, à l’environnement (…) On écoute des prods ensemble, on en sélectionne et on commence à écrire chacun de notre côté. Le résultat est toujours très cohérent ». 

Ces propos suggèrent une évidente complémentarité qu’on a donc hâte de voir à l’œuvre. En l’attente, les deux rappeurs nous ont offert une performance partagée avec d’autres très bons techniciens en dévoilant un Grünt inédite lors du concert d’Isha au Bataclan. Une démonstration de très gros calibre qu’Isha ouvrira en plaçant « Ne doute pas de nous, qu’ce soit Limsa ou moi », renforçant un peu plus encore les espoirs placés dans la qualité de ce projet commun. 

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