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Rédigé par Julien D. / Mise en page par David D./ 9 mn de lecture
“Fuck le top album, fuck être dans le tempo” – Stigmates.
Bien décidé à laisser quelque chose d’éternel, l’esthète aux cheveux soyeux a mis les petits plats dans les grands pour livrer l’ultime partie du récit de Jvlivs.
Embourbé dans la complexité d’une saga alourdie par le statut de superstar de son créateur et vaguement interrompue par un Autobahn mal reçu, SCH n’avait pas vraiment le droit aux faux-pas depuis qu’il avait initié ce run avec Jvlivs premier du nom. Pire encore, l’énorme capital sympathie développé depuis plusieurs années semblait être un encombrant bâton dans les roues de celui qui se plaît depuis le début de sa carrière à construire une imagerie scélérate crasse. On aurait aussi pu redouter que sa capacité à enchaîner les hits desserve le concept et incite SCH à opter pour une tracklist format “cahier des charges” remplie de compromis pour satisfaire toutes les franges de son auditorat.
Il n’en est rien : Jvlivs 2 et Autobahn n’ont pas reçu l’entière adhésion du public mais nul doute que la qualité de ce troisième volet n’aurait pas été atteinte sans ces disques certes plus inégaux mais fondateurs qui ont aidé le marseillais à mieux définir son art.
@misterfifou
Sensibilité et lucidité d’un perfectionniste
Avec Jvlivs 3, SCH touche le sacré. Les interludes se raréfient pour alléger un album plus digeste qui gagne en qualité au fil des écoutes. L’allure cinématographique paraît moins forcée que dans les précédents opus, et doit plus à la qualité d’écriture, ainsi qu’à l’ouverture musicale qui offre une vraie profondeur à l’ensemble, frôlant parfois le baroque en restant dans la patte caractéristique du S. “La guitare électrique, le piano, c’est les deux outils émotionnels absolus”, affirme-t-il au micro de Medhi Maïzi avec qui il a pris le temps de décrypter le processus créatif de Jvlivs 3. Les choix tranchés donnent de vrais beaux morceaux, pas de simples tentatives, et le tout est admirablement amplifié par un travail sur les transitions.
Cette conclusion à une très grande parenthèse de la carrière du natif d’Aubagne est certainement dévoilée au moment opportun : hype incomparable et public diversifié, scène rap FR plus ouverte que jamais aux propositions alternatives, tout était réuni pour laisser une grande marge de manœuvre à l’artiste. Le potentiel est assumé avec brio, car c’est sans délaisser son talent d’écriture ni sa versatilité dans les placements que SCH fait briller le personnage Jvlivs le temps d’une dernière danse amère et cynique.
Le marseillais se fait plaisir sans la moindre once de mauvais goût sur des titres éclectiques, parvenant à puiser la hargne de ses débuts dans le kick et atteignant définitivement une crédibilité dans son penchant pour la variété. Les titres rappés, bien qu’efficaces, sont minoritaires : dans sa volonté de laisser une œuvre emblématique, Julien Schwarzer a vraisemblablement pris le parti de l’émotion, dédiant la majorité de la tracklist à des morceaux tirant ouvertement vers la chanson française. Avec quelques clins d’œil sincères, d’une intro à la Joe Dassin pour La pluie à l’évocation des “vinyles d’Édith Piaf” dans Deux mille.
Jvlivs ou Julien ?
Le tout est rehaussé par sa voix singulière et sa sensibilité qui ajoutent du relief au disque et on en vient logiquement vite à questionner les frontières entre fiction et réalité dans le récit. Un écueil difficilement contournable quand on sait que SCH a mis ses tripes dans les 75 titres de cette saga entamée depuis 6 ans.
Pourtant, tenir le concept sur une telle durée n’est pas chose facile. Les précédents opus de Jvlivs suivaient un véritable itinéraire mais ici, SCH brouille les pistes, tentant parfois tant bien que mal d’entretenir l’histoire d’un personnage à son zénith.
Mais le personnage, qu’en reste-t-il ? Dans cet ultime opus de la trilogie, les phrases marquantes sont celles qui racontent Julien, pas Giulio. Le deuil et les relations familiales y sont abordées de manière frontale, le regard est résolument tourné vers un passé conté depuis plusieurs albums. Et si l’artiste a longuement visionné des œuvres majeures pour affiner cette esthétique criminelle propre à la saga Jvlivs, replongeant dans Les Sopranos ou Le Parrain, les émotions, elles, ne s’inventent pas. C’est peut-être pour ça que l’amour et les femmes sont autant présentes dans ce disque-exutoire aux allures de fiction, tout comme la mort des proches, relatée sans excès de pudeur depuis plusieurs années et qui a tristement refait surface cet été.
» Je vis des choses qui sont dures et ça me nourrit. «
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Dans ce mélange d’atmosphères qui donnent la grisante impression de bilan en apothéose à l’album, certains titres jouent la carte de l’écorché à belle plume, d’autres rentrent dans le lard et interpellent, à l’image d’Anamnèse, morceau empreint d’une émotion particulière qui renvoie à des morceaux plus bruts emblématiques de la discographie du S. Plus les écoutes de l’album s’enchaînent, plus l’impression grandit : dans ce volet final, tout ramène à A7 et aux débuts de SCH, à cette musique viscérale qui aurait simplement bénéficié d’un soin méticuleux sur l’enrobage. Comme si, finalement, toute la carrière écoulée n’avait existé que pour donner vie à cet album.
L’allure d’une boucle bouclée est renforcée par la symbolique des deux feats. L’un éveille automatiquement les souvenirs d’une première connexion avec Sfera Ebbasta à l’époque d’Anarchie, l’autre présente une rencontre au sommet entre deux têtes d’affiche de la scène rap FR. Un petit bémol personnel à ce sujet (visiblement pas partagé par le reste des auditeurs, 2:00 restant le titre le plus streamé du projet) : la présence de Damso n’apporte pas grand-chose dans l’ambiance générale et le ton choisi en est presque décevant, alors qu’on pouvait s’attendre à un récital épique de technique qui serait très bien rentré dans le moule de l’album. Le décalage se remarque jusque dans la dernière phase d’un Damso qui se définit comme “numero uno” alors même que SCH entame l’album en tournant le dos à ces considérations. Du reste, la tracklist semble pensée pour accompagner ce final éclatant et les quatre titres suivants pourraient même être la synthèse de sa carrière. La pluie, Anamnèse, Quartiers nord puis Jour d’octobre incarnent en effet chacune des facettes musicales du marseillais à la perfection.
Enfin un peu de souffle
Le S clôture en grande pompe ce projet haletant, atteignant élégamment l’équilibre entre son amour pour le rap brut et ses inclinations désormais pleinement affichées pour la chanson française. Voilà peut-être son premier disque reçu comme un classique et pensé en tant que tel… l’avenir nous dira si l’accueil unanime du public et des médias spécialisés perdurera. Difficile en tout cas d’envisager la suite après un dernier tour de piste remarquable pour Jvlivs qui risque de causer bien des casse-têtes à SCH pour se projeter vers l’après-saga.
Pour le moment, cet album devrait se suffire pour une belle période après pas mal d’années de création intense : non-content d’avoir imposé son esthétique au rap français, le marseillais a définitivement trouvé le son qui lui est propre. Les expérimentations d’Autobahn et les pas de côtés réalisés çà-et-là à l’image de Bande Organisée ont permis au S de donner la consistance musicale à cette identité phocéenne affirmée, et c’est bien sur Jvlivs 3 qu’il parvient enfin à mélanger ses influences de manière fluide. Les sonorités marseillaises contemporaines intègrent celles des décennies écoulées pour se mêler à une imagerie criminelle qui se détourne habilement du pastiche pour viser juste et mieux servir le propos. Demeurant une des plus belles plumes de la scène actuelle et prenant mine de rien de la bouteille au gré des années, SCH démontre avec ce point final tout le dévouement parfois tortureur dont il s’est investi pour laisser une trace impérissable sur la musique française.
@misterfifou
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