Rédigé par Julien D. / Mise en page par David D. / 11 mn de lecture

Une dizaine d’années de métier derrière lui, et voilà que Costa impose sèchement son rap dans les bibliothèques de nombreux auditeurs en débarquant en novembre avec son travail le plus abouti à ce jour, la mixtape Violence Culture Sport & Fashion.

Dès la révélation de la cover, ce projet en approche en a bousculé certains et intrigué d’autres. Les visuels marquants tirent souvent vers l’extravagance et la déformation de l’artiste concerné mais en l’occurrence, il aurait été difficile d’être plus proche de l’univers de Costa développé dans cette mixtape. Escorté tel un striker indésirable sur la pelouse, Costa apparaît bridé mais rebelle, une attitude qui se ressentira finalement tout le long de l’écoute de ce projet.

©lhiyanurkic

Le sens de l’image

Beau défi que de proposer une mixtape aussi personnelle qui trouvera son écho chez différentes personnes. L’outil choisi pour le faire n’est pas inédit mais il est maîtrisé : un peu de sa personne, beaucoup de ses yeux et pas mal de cœur, Costa est un kickeur efficace mais c’est quand il laisse la parole à sa sensibilité qu’il se distingue le plus.

Les racines grecques de l’artiste ne sont que légèrement abordées, au détour d’un verre d’ouzo ou d’une bouchée de tarama. Renforcée par l’usage de samples vocaux, la nostalgie tient pourtant un rôle majeur et compense la tendance de la mixtape à nous prendre par le col, pour la laisser par instants nous prendre par les sentiments. Les rythmiques ouvertement percutantes se muent ainsi parfois en productions plus subtiles, étouffant les drums pour laisser planer les confessions et introspections de Costa.

On ne s’y trompe pas, c’est bien le texte qui fait sa force et qui accentue l’esthétisme valorisé par l’artiste. “C’est quoi la quête, c’est quoi ta map ? Moi c’est Paris, j’suis dans le quatorze”. Voilà comment se considère Costa, un parisien authentique et “grave chauvin”. Ce qu’il définit comme son cocon en interview est le théâtre de nombreux spectacles, mais est aussi un point majeur sur la carte du monde de la mode. Vie urbaine, lutte et affirmation de son identité : c’est dans la culture casual que Costa a forgé sa raison d’être, un mouvement codifié, qui a sa culture propre et des marques de prédilection. Identifié d’un simple regard sur la pochette, l’attrait du rappeur pour Stone Island et autres références du milieu est palpable dans l’intégralité du projet. Il est même brandi comme étendard pour faire la promo de la Boule Noire fraîchement réalisée par l’artiste.

 » la vie c’est moche et cher comme du Dsquared2 « 

Car en marge de son développement fulgurant depuis l’Italie et le sud-est ces dernières années vers l’ensemble de l’Europe, Stone Island demeure un véritable signe d’appartenance à différents mouvements plus ou moins liés. Celui qui s’habille en “full Stone” impose son sens de la mode, d’où le “fashion” du titre. Il déplore que “la vie c’est moche et cher comme du Dsquared2” et prétend que “Chez moi j’ai qu’une chemise noire pour les gens qui meurent”.

Ce qui n’est en apparence qu’un style vestimentaire représente finalement une porte d’entrée pour comprendre tout un monde. “Toujours casual culture caché dans la populace” : des tenues sobres et discrètes, rien de mieux pour peu à peu densifier la foule. Bruit de craquage, étincelles et esprit de groupe, c’est aussi le monde ultra qu’aborde Costa dans ce projet très personnel.

« J’arrive en criant comme un hools, cagoule rouge et torche bleue »

Car l’artiste navigue ici entre des milieux intimement liés, la casual culture qu’on décèle dans les rues, et la culture ultra qui se vit à l’intérieur et en dehors des stades. En bon chauvin, Costa reprend évidemment les symboles du PSG et des résidents du Parc des Princes (“Mon reuf, on est Authentiks comme un groupe d’Auteuil”) et joue sur les codes du milieu (“Putain c’est con, on t’a chourave ta bâche”). Tout cet univers obscur pour le plus grand nombre donne pourtant beaucoup de consistance à l’assemblage de moments de vie qui parsèment les textes du projet, enrichissant l’ambiance urbaine et nocturne.

On a bien la culture, le sport, la dimension fashion : mais où réside-donc la violence dans ce projet ? 

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La conviction, un don trop rare.

Engagé dans un train de vie qu’il relate avec autant de fierté que de regrets pour certains aspects, Costa est un jeune adulte de 1997 qui confiait au micro de Seasons se situer dans un entre-deux générationnel qui lui permet de comprendre les enjeux de chacun. Et comme beaucoup, Costa est issu d’une génération éduquée dans l’insouciance du lendemain, mais qui n’a cessé de mûrir dans une société au sein de laquelle prolifèrent les clivages.

C’est aussi la force des mouvements auxquels il adhère, notamment le milieu ultra, qui valorise la transmission de valeurs et d’une identité propre entre différentes générations, mais qui est aussi marqué par l’esprit de groupe et la solidarité. Construit sur des ambitions de défense de son identité, de revendication et de conquête, ce milieu est forcément imprégné d’une certaine forme d’agressivité dans l’imagerie.

Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas la violence ultra fantasmée par les mal-informés que Costa met en exergue. Ce qui attire son attention, c’est plutôt ce que notre époque fait apparaître de plus laid. A commencer par l’environnement qui lui est familier, progressivement marqué par ce que condamne Costa : “Le rap devient populaire, c’est comme le stade il se droitise”. Le phénomène touche le parisien en plein dans ses valeurs, alors même qu’il confiait lors d’une scred interview prêter beaucoup d’intérêt aux tribunes. Ces dernières représentent selon lui un exutoire pour la population, surtout dans les pays pauvres, où elles sont particulièrement politisées. Difficile donc de concevoir deux de ses passions historiquement populaires glisser entre les mains d’idéologies d’extrême droite. Le virage Auteuil mentionné plus haut est historiquement la tribune populaire d’un stade meurtri par les confrontations émaillées de divergences politiques entre groupes, ce que Costa tend à généraliser à l’ensemble de sa ville.

“Ici c’est Paris, rouge et bleu, baise les fafs”

Ce projet transpire l’engagement antifasciste et la lutte contre les idées de l’extrême droite. C’est d’ailleurs en étant l’un des rares intervenants crédibles du titreNo pasaran que Costa avait commencé à se faire un nom quelques mois avant la sortie de la mixtape.

La violence en question est donc surtout systémique d’après lui : peu surprenant que ce projet fondateur laisse autant de place à son militantisme. Le titre de ce dernier nous révèle tout son sens si l’on prend en compte cette facette majeure de Costa. La notion de “fashion” fait également écho à une mode assumée en opposition avec la culture de l’élite, à en croire les justifications de l’artiste. Le sport, déjà bien présent dans l’esthétique, trouve aussi du sens dans la symbolique puisque c’est en bon compétiteur que Costa se frotte à deux excellents rappeurs en pleine lancée. La collaboration avec Jungle Jack est pleine d’automatisme mais c’est surtout sur le feat avec Okis que l’esprit critique s’active.

Thème peu surprenant pour les deux comparses qui partagent un positionnement assumé à gauche de l’échiquier politique (et un goût prononcé pour le ballon, accessoirement). “Paname, Lyon, baise les nazillons de l’hexagone”, le ton est donné dès les premières lignes de ce pamphlet co-signé ponctué par un sample définissant les vraies valeurs du militant antifasciste.

Sans la moindre maladresse, Costa conserve son sens de la punchline pour pointer du doigt tout ce qui bouleverse ses convictions. Rien n’est dit à demi-mot, l’engagement est frontal, notamment quand il s’agit de l’extrême droite : “Si y’a des racistes dites-leur de rester chez eux, dites-leur d’assumer de voter l’autre connasse de mes deux”.

Les messages sont pourtant variés et ne s’arrêtent pas à sa haine de l’extrême droite ou de son mépris des élites (“Les mecs d’en haut, ils n’ont pas honte, ils tolèrent des massacres, ils ne tolèrent pas la colère”). Dans sa mixtape, Costa encourage les plus précaires (“force aux grévistes”) et dénonce à tour de bras, même quand ça touche à sa passion – “Coupe du monde, ça fait du bien au moral, mais ça tue des gens”.

La réflexion va plus loin et pousse l’auditeur lui-même à se remettre en question. Sans faire l’ancien, Costa affirme qu’lls ont attendu que ce soit hype pour ouvrir les yeux sur la Palestine” et questionne la capacité de chacun à considérer les conflits, alors même que les situations de violence impactent l’ensemble du globe, pour certains dans une quasi-indifférence. D’autres sujets moins évidents sont mis en lumière (“On n’en parle pas assez d’la merde que c’est l’alcool”) et le parisien va même jusqu’à remettre l’insouciance de l’auditeur en cause avec une phase grinçante : “Les hommes tapent des femmes sur des basses, c’est peut-être ton reuf qui fait les backs”.

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“A quoi bon crier « Mayday » si y’a personne pour entendre ce que tu cries, et ce que j’écris c’est personnel”

En dépit du ton grave qui fait régulièrement surface, Costa propose un ensemble d’un rare équilibre, laissant une place entière et assumée à ses textes, sans tomber dans l’écueil du pleurnichage.

Sans rien enlever de l’aplomb de ses convictions et de ses revendications, Costa affirme son rap à travers un projet parfaitement équilibré, qui derrière des positionnements hargneux abrite des instants plus doux. On prend plaisir à réécouter cette œuvre de très bon goût, particulièrement intime et authentique, qui renferme un univers unique.

L’artiste ici ne se distingue surtout pas de l’homme, et c’est justement dans l’identité et le caractère que Violence Culture Sport & Fashion trouve son relief.

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