Rédigé par Cathou Phi. / Mise en page par David D. / 14 mn de lecture

©Léa Esmaili

Après avoir fait ses preuves sur scène et avec ses premiers morceaux, il ne manquait plus qu’un premier album à Mairo pour solidifier sa place dans le game qu’il semble maîtriser.

Le moment de marquer les esprits est enfin arrivé avec la sortie de LA FIEV le 21 février 2025, un projet déjà salué par la critique et qui s’impose, comme un tournant dans sa carrière.

 

LA FIEV ne se contente pas d’être le point d’entrée de sa discographie, mais incarne le fruit de ses réflexions, ses expérimentations et ses rencontres musicales passées. En se replongeant dans son parcours, il est aisé de remarquer que chaque étape, chaque projet, chaque morceau, a contribué à forger l’artiste qu’il est aujourd’hui, en nous proposant cet album.

Ce projet, plus qu’un simple aboutissement ou un marqueur d’une étape devant être obligatoirement franchie, vient s’inscrire dans une vision d’ensemble où Mairo réaffirme son identité auprès d’un public qu’il arrive à séduire de plus en plus.

Aborder LA FIEV sans tenir compte de ses réalisations passées serait réducteur et dénué de sens. Il est essentiel de replacer Mairo dans le contexte de son évolution, en tenant compte des différentes étapes qu’il a franchies pour en arriver à ce nouvel album. Ce dernier, déjà riche en promesses, est le témoin d’une maturité artistique croissante et d’une volonté d’élargir sa palette musicale.

Ainsi, l’analyse de son travail actuel ne peut se faire sans une référence à son passé, car c’est à travers ce cheminement qu’il parvient à s’affirmer pleinement aujourd’hui.

Dès ses débuts et ses premiers morceaux, Mairo le légendaire s’est affirmé comme un véritable disruptif du rap, apportant une vision singulière, innovante, mais aussi curieusement gorgée du passé. Il a su habilement fusionner la nostalgie que l’on a en écoutant les classiques du rap francophone, ceux qui résonnent encore dans l’esprit de nos aînés, tout en y ajoutant une touche de modernité 3.0, lui qui sait si bien être vecteur d’innovation. À travers ses morceaux, il semble évident que Mairo se donne pour mission de transmettre les codes authentiques du rap aux nouvelles générations, tout en insufflant sa propre identité. Il réussit à moduler les contours du genre de manière subtile, sans que cela ne semble forcé ni artificiel.

Au-delà de ses lyrics, Mairo est un véritable passionné de hip-hop, un bousillé de rap avec qui les discussions peuvent facilement s’étirer pendant des heures. C’est cette passion et cette authenticité qui se retrouvent dans chacun de ses projets, ou une envie irrésistible de contribuer à l’évolution du mouvement.

Premier album avec LA FIEV, certes, mais il n’est cependant pas un rookie. En 2017, Mairo sort son premier EP “365” produit entièrement par LEX et se fait déjà remarquer pour son écriture. Le jeune rappeur, membre du fameux collectif Super Wak, doit se faire un nom à l’instar de ses pairs, qui l’accompagnent en feat sur ce projet : Slimka et Di-Meh.

Il commence à bâtir ses fondations avec son projet 95 Monde Libre en 2020. Il réussit non seulement à imposer sa démarche artistique, mais aussi à dévoiler l’étendue et la profondeur de sa vision musicale. Ce projet, produit par son frère jumeau Hopital, met en lumière non seulement son talent de beatmaker, mais aussi l’écriture déjà précise et raffinée de M.A.I.R. Des morceaux comme le très réussi “Kill Bill” ou “(357) the what” en feat avec Makala, en sont un parfait témoignage, illustrant déjà la qualité et la précision de son travail.

« Ce morceau lui permettra d’ailleurs de remporter un concours d’une radio suisse, se démarquant par les lyrics & les beats. « 

Mairo poursuit ensuite avec une série d’EP tous acclamés. Dans Rougemort sorti en juillet 2021, il s’associe à nouveau avec son frère Hopital, et en à peine vingt-cinq minutes, le rappeur navigue d’un couplet à l’autre avec une fluidité impressionnante, s’adaptant à chaque track avec une aisance naturelle. Le projet sera porté notamment par le son “attentat uzi”, pour lequel il performera dans les studios de Colors, et qui deviendra son premier succès d’estime. Ce qui marque particulièrement dans cet EP, c’est la manière dont son flow s’entrelace avec des rimes réfléchies et un discours bien plus profond qu’il n’y paraît en première instance. Déjà remarqué pour son goût affiné de l’égotrip, il parvient à intégrer une dimension un peu plus introspective que dans ses projets précédents. Cette introspection vient enrichir les prods d’Hopital, faisant preuve d’une polyvalence accrue dans sa manière de travailler.

2022 sera une année assez productive pour Mairo qui rejoindra Wallace Cleaver et H JeuneCrack lors de leurs sessions freestyles Grünt, et qui finira par créer son label “Monde Libre” avec Hopital.

Comme nous l’évoquions précédemment, Mairo a toujours eu un lien particulier avec la culture rap. Dès ses débuts, à l’âge de 12-13 ans, il s’est nourri des influences et des références qui l’ont façonné artistiquement. Son attachement au rap se traduit non seulement par ses créations, mais aussi par son respect profond pour les acteurs et les supports qui participent à la scène rap. Dans cette optique, Il choisit de rendre hommage au magazine Rap Mag à travers un morceau accompagné d’un clip qui sortira également en 2022, magazine qui était, une véritable institution dans le milieu rap au début des années 2000.

©Mairo – Rap Mag

« Bientôt j’écris vos textes, les rappeurs faites-moi confiance… »

Depuis 2022, Mairo ne cesse d’être actif sur la scène musicale. En 2023, il entame l’année avec l’excellent EP de trois titres, QUI A VOLÉ LE SOLEIL ?, réalisé en collaboration avec Slimka. Ensemble, ils expérimentent de nouvelles sonorités tout en naviguant avec fluidité sur les prods. L’alchimie entre les deux rappeurs suisses est évidente et si agréable à écouter qu’on en redemanderait bien plus que simplement trois morceaux.

omar chappier sort ensuite la même année, et Mairo semble plus que jamais la future tête d’affiche. Ce projet vient montrer que la palette de l’artiste est très nuancée et riche. Comme à son habitude, à l’écoute, on remarque immédiatement sa maîtrise technique, son sens du placement, ses nombreuses références, et son obsession pour les lyrics. Dans “Crack Crack”, il déclarait : « Bientôt j’écris vos textes, les rappeurs faites-moi confiance », comme conscient de sa propre force.

Jamais deux sans trois : Déjeuner en Paix”, en collaboration avec JeanJass, vient clore cette trilogie de 2023. Mairo s’offre le luxe de travailler avec le belge, et ensemble, ils livrent un EP où punchlines et assonances se multiplient sur cinq morceaux. Les productions sont percutantes et offrent au rappeur l’espace nécessaire pour briller. La véritable force de cet EP réside dans cette mise en avant du M.A.I.R au service des prods.

En février 2024, Mairo et H JeuneCrack, déjà réunis sur “omar chappier”, reviennent avec un nouvel EP de trois titres : “La solution”. Entre égotrip et réflexions, les deux jeunes talents du rap francophone offrent un projet à la fois cohérent et complet, fidèle à leur image et à leurs univers atypiques.

Après cette série de sorties assez marquantes, le Genevois s’est fait plus rare jusqu’à la fin de l’année 2024 et le “Grünt #68”. Mairo rappe seul, et ce, pour une durée de 51 minutes, marquant une scission avec les habitudes du Grünt : plusieurs invités pour des freestyles relativement courts, légendaire. Ce Grünt marque une nouvelle ère dans sa carrière.

©Léa Esmaili

Cette nouvelle ère se concrétise en 2025, lorsque Mairo annonce la sortie de son tout premier album, LA FIEV, prévue pour février. Un tournant infectieux dans sa carrière (nldr : à l’image du nom de l’album, s’apparentant à la fièvre, une maladie qui se propage rapidement comme il l’a évoqué en interview), car il ne s’agit pas simplement d’un EP, mais bien d’un projet de grande envergure, son premier album qui marque une étape significative dans son évolution artistique. Avant de se mettre à son écriture, Mairo était prêt, et savait que ce projet n’allait pas être un EP.

Habitué des collaborations, il choisit cette fois-ci de garder les choses en famille, avec Hopital, renforçant ainsi le caractère intime et personnel de cet album. Peut-être une envie de l’artiste de créer un projet fidèle à ses racines, comme en témoigne la cover révélatrice de sa spiritualité et de son intimité. Il y a tout de même la participation de Niels Schack, artiste aux multiples talents, et Ike Ortiz que l’on ne présente plus.

« J’ai fait ce premier album sans faire de thérapie pour cracher ma haine telle qu’elle »

Dès les premières notes de l’introduction intitulée “Nitro LA FIEV”, Mairo nous plonge dans l’univers de son album. Il y déclare sans détour : « J’ai fait ce premier album sans faire de thérapie pour cracher ma haine telle qu’elle », une phrase qui, loin de choquer, suscite immédiatement l’adhésion. Quoi de mieux pour accueillir l’auditeur dans un projet que la certitude qu’il va découvrir une facette intime de l’artiste, qui choisit de se livrer sans compromis, en exprimant ses émotions telles qu’elles sont vécues ? Cet album se révèle être le plus introspectif de sa carrière, un miroir brut de son âme et de ses pensées profondes. Mairo, qui a progressivement construit cette volonté d’exploration personnelle à travers ses précédents projets, semble aujourd’hui prêt à en dévoiler pleinement les couches, sans retenue.

Il parvient à livrer l’un des morceaux les plus intimes de sa carrière, “La Patte Brisée”, où il évoque son profond attachement à sa mère, qu’il considère comme un modèle. Dans cet extrait de vulnérabilité, il confie que l’inclusion de cette chanson dans l’album a été un véritable défi pour lui. Il se questionnait en effet sur le degré d’introspection et de dévoilement personnel qu’il était prêt à atteindre, hésitant à quel point il pouvait s’exposer en partageant des aspects aussi privés de sa vie.

« En vieillissant, la question se pose de savoir ce que l’on a envie de laisser. Qu’est-ce que tu veux dire aux jeunes ? »

Mairo dans son interview auprès de l’abcdrduson

Il n’hésite pas à prendre position et à exprimer ses pensées de manière brute, faisant de son introspection sa plus grande force. C’est d’ailleurs ce qui donne à LA FIEV son potentiel universel, un album qui vise à toucher un public encore plus large et à s’imposer davantage. Dans 45%, il déclare sans détour : « J’emmerde les partis extrêmes qu’auraient bien tej’ mes parents ». Le titre “Dope” en est également une représentation marquante, surtout à une époque où certains acteurs du hip-hop préfèrent éviter de prendre position sur des questions géopolitiques :

 « J’fais pas d’hiérarchie d’la haine, je n’généralise pas les fautes commises

Mais je n’crois pas en l’extermination d’un peuple pour une terre promise

Les amérindiens savent de quoi j’parle, les palestiniens savent de quoi j’parle

Les nations qui constituent l’Afrique n’ont jamais été sauvées par des braves gars

Tu peux être sûr qu’ils s’passent les plans

N*gga, les bidons veulent les guidons, laissez-les donc qu’ils s’cassent les dents »

Comment parler de Mairo sans évoquer son amour inconditionnel pour les références ? LA FIEV en est la parfaite illustration. Depuis ses premiers morceaux, il a su intégrer les influences du rap dans sa propre œuvre, comme une véritable marque de son authenticité et de sa passion pour le genre. Mairo aime le rap, et il en fait une partie intégrante de son processus créatif.

Des références qui viennent ponctuer ses morceaux, telles que le bruit de son âme en clin d’œil à Kaaris, ou encore des paroles comme : « Au début, j’peinais, j’galérais bene, mais j’comptais pas passer ma vie dans l’sale, ma mère, j’peux aimer qu’elle, j’écoute pas PNL, ma life est d’jà assez triste comme ça » ou les lyrics de Matuidi Charo de Niska repris dans “antidote ou venin”, où il cite des morceaux comme Matuidi Charo.

Ce qui rend l’expérience d’écoute encore plus fascinante, c’est la manière dont ces références s’entrelacent au fil des morceaux. Le plus addictif, finalement, c’est de découvrir ces chansons pour la première fois et de capter ces petites pépites, ces clins d’œil au rap, qui se révèlent au fur et à mesure de l’écoute. Chaque morceau devient ainsi un terrain de jeu pour les fans et les connaisseurs du genre, un véritable challenge pour repérer ces allusions et apprécier toute la précision de ses textes.

Les propos de Mairo sont décuplés avec les prouesses d’Hopital en tant que beatmaker. S’ils avaient déjà collaboré dans le passé, cette fusion chimique des jumeaux est assez salvatrice dans cet opus. On navigue dans plusieurs mers et ensemble, ils nous emmènent à travers une palette sonore éclectique qui va du jazz à l’électro, du rock à la jersey, en passant par le reggae. Un album empreint de cohérence, même si les sonorités sont plutôt différentes ; les deux frères ont réussi à conscientiser le fait qu’il fallait que l’album ait du relief, sans effectuer de copier/coller, de manière très fluide. Un album dans lequel ils expérimentent mais qui ne sonne pas comme de l’expérimentation, tant ils montrent tous les deux la maîtrise de leur propre art. Des prods taillées sur mesure pour permettre à Mairo l’introspection la plus profonde qu’il ait connu jusque-là, entre moments plus légers et réflexions profondes, partagées tantôt avec intimité, tantôt sans aucune retenue.

©Léa Esmaili

« M.A.I.R n’est pas un prophète » nous disait-il dans, mais la messe est dite : avec LA FIEV, il prouve que son talent est plus que palpable, et ne semble plus devoir prouver quoi que ce soit. Ce premier album incarne à la fois parfaitement son univers, ses ambitions traduisant la sagesse dont il a fait preuve en choisissant de faire mûrir son art. Un goût pour les choses bien faites, un rap peaufiné qui s’impose tout seul, sans forcer l’auditeur. Si l’on ne sait pas de quoi est fait demain, une chose est claire : il apparaît comme un rappeur qui restera dans le paysage francophone, et LA FIEV est un parfait premier album pour en témoigner, « Rap FR : 6 heures de décalage avec New York mais 5 ans d’retard sur Mairo ».

Mairo pour toujours et à jamais.

Il y a quelques jours sortait le Arte Dans le Club de Mairo, offrant à tous les auditeurs une occasion parfaite de redécouvrir ses titres emblématiques tout en savourant les nouvelles compositions de son projet LA FIEV.

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