INTERVIEW – Roxane Peyronnenc : « C’est ce qui nous anime qui permet de se distinguer des autres : notre motivation et notre patte artistique »
Rédigé par Maxence
À l’occasion du lancement de son exposition L’Oeil Féminin sur le milieu du rap, on a renconté Roxane Peyronnenc pour discuter avec elle de ses débuts dans la photo, son virage vers la DA, mais également l’organisation d’un tel événement et la soirée de lancement.
DANSLACIUDAD : Pour te présenter rapidement, on peut dire que tu es un vrai couteau suisse : photographe, directrice artistique, réalisatrice et DJ.
Merci de nous accorder de ton temps. Comment te sentais-tu à quelques jours de l’exposition ?
Roxane : Avec plaisir. Merci à vous. Alors, j’étais vraiment une petite boule de mélange de stress et de hâte qui ne dormait pas beaucoup ahah.
Dans un premier temps, j’aimerai revenir sur ta construction en tant qu’artiste.
Comment as-tu été attirée par l’art en général ? Tu as un entourage qui y est sensible et qui t’as fait baigner dedans plus jeune ?
J’ai une bonne partie de ma famille très sensible à l’art en général. Mes deux grands-pères étaient peintres, ma grand-mère et ma mère m’emmenaient très souvent visiter un tas de trucs ou voir des expositions. J’ai eu la chance d’avoir accès à ça très jeune et du coup de devenir curieuse.
Durant ton enfance/adolescence, tu envisageais déjà travailler dans l’industrie musicale ?
Pas du tout. Plus jeune je voulais travailler dans l’industrie du surf !
C’est venu assez tard. Même ado quand je sortais à beaucoup d’événements, jamais j’aurais pensé que je pouvais travailler dans ce milieu, à l’époque il y avait moins d’ouverture.
Quelles études as-tu fait pour en arriver là ?
À la sortie du bac, j’ai fait un Bachelor en production et médiation culturelle, je savais pas trop vers quoi me diriger. C’était des études larges, ça touchait au cinéma, au spectacle vivant et à la musique. Je savais juste que je voulais bosser dans le culturel.
D’ailleurs, c’est quoi ton premier souvenir rap ?
Mon premier souvenir rap c’est avec mon père, avec 113 et IAM.
Ensuite de moi même, la première fois que j’ai été matrixé, c’était avec le rap USN. J’étais une grosse fan des Flatbush Zombies.
Photos de l’exposition L’Oeil Féminin sur le Milieu du Rap par @88northside
C’était quoi tes premiers pas professionnel dans le milieu du rap et qu’est-ce qui t’as attiré dans cette culture ?
Durant mes années lycée, j’allais à tous les concerts/event possibles, j’étais à fond. Mes débuts remontent à l’été de mon bac, juste avant de commencer mes études. On devait faire une mission de notre choix avant la rentrée de septembre et j’étais bénévole sur un festival de mode/rap.
Ensuite, c’est pendant mes études et mes stages où j’ai réellement commencé, mais c’était dans la partie production évènementielle. La photo est arrivée par “accident” dans le cadre d’un de mes stages où j’étais envoyé à des concerts pour faire des reports ou des interviews. Je me suis dit que j’allais prendre des photos pour alimenter les réseaux et aussi pour ne pas m’ennuyer sur place.
Initialement, en allant shooter en concert, pensais-tu en faire ton métier ?
Absolument pas. Mes études n’avaient rien d’artistique directement. C’était plus lié aux métiers de l’ombre autour du secteur culturel. Les 2/3 premières années, c’était vraiment juste du kiff. Je gagnais pas de sous ou très peu et occasionnellement. J’avais mes études en plus de ça. Je bossais dans un bar pour financer celles-ci, j’avais pas le temps ne serait-ce que d’imaginer en faire mon métier.
Avec quel appareil as-tu commencé la photo ?
Je sais même pas ahah. La première année, c’était tellement pour le kiff que j’avais emprunté le vieil appareil photo de ma cousine. Le matos ne compte pas vraiment au début : “Si tu veux faire des films, t’as juste besoin d’un truc qui filme”.
À quel moment tu t’es dit que tu avais trouvé ton style dans tes photos ?
C’est arrivé bien tard. Je pense y’a 2 ans et il continue de changer ou d’évoluer en permanence. Au début, par exemple, j’étais à fond dans les collages, edits poussés. Maintenant, quand je regarde ces photos, mes yeux piquent… ensuite j’aimais beaucoup éditer en mode argentique. Aujourd’hui, par exemple, je reviens vers ce que je faisais avant, beaucoup de contraste. Ça change tout le temps !
Qui sont tes inspirations ?
J’ai des inspi très différentes. Pour la partie “capturer des moments forts et précis” j’aime énormément le travail de Steve Mc Curry.
Je suis une grande fan de Amber Asaly et l’oeil qu’elle apporte sur les artistes. J’aime beaucoup ce que fait Nadia Lee Cohen aussi.
Yessir et Kyana à la soirée de lancement de l’exposition L’Oeil Féminin sur le Milieu du Rap par @88northside
Après tes premiers pas en concert, tu as commencé à faire des covers également (celle de Monochrome de Lpee si je ne me trompe pas). C’était quelque chose que tu avais envisagé ? Tu peux nous expliquer les particularités de cet exercice ?
Je crois que c’était ma première oui !
En vrai, c’était la suite logique des choses. Il y a eu les concerts, ensuite les shooting pour les réseaux,… La cover, c’est un travail différent qui m’intéressait grave. Se creuser la tête, réfléchir à une idée en fonction de la musique/d’un titre. C’est arrivé très naturellement.
Qu’est-ce que tu dirais à tous les jeunes photographes qui commencent ? Quels conseils leur donnerais-tu ?
De ne pas oublier pourquoi ils le font. C’est un secteur où y’a beaucoup de monde, surtout ces dernières années. C’est ce qui nous anime qui va faire qu’on va se distinguer des autres : par notre motivation et notre patte artistique.
On peut facilement se perdre. Les premières années, c’est toujours un peu dur de se faire une place ou de gagner sa vie grâce à ça, donc il faut se rappeler les raisons, la passion qui nous a amené là, c’est essentiel.
C’est ce qui nous anime qui permet de se distinguer des autres : notre motivation et notre patte artistique.
Quel est le projet photo sur lequel tu as préféré bosser ?
C’est dur comme question.. c’est comme si tu me demandais de choisir entre mes enfants ! Il y en a pas un en particulier mais je peux t’en citer plusieurs sur cette dernière année.
Par exemple en concert, je reste bloqué sur le concert de Laylow à Bercy. C’était vraiment le concert en 6 ans où je me le plus amusé visuellement.
Sinon en photo, récemment tout ce qu’on fait avec Zamdane sur la saison 3 des Affamés. Je m’amuse de fou, on est parti au Maroc j’ai adoré shooter là bas.
Ensuite, tu t’es lancée dans la direction artistique. On aimerait bien que tu reviennes sur tes débuts. Comment tu es passée de photographe à DA ?
Alors, la direction artistique est intensément liée au métier de photographe. Quand tu fais de la cover, tu bosses une direction artistique au final, donc c’est venu très naturellement. Mon premier pas, ça a été pendant la sortie de l’album de Raplume “Le chant des oiseaux” où je devais faire le shoot de certains artistes du projet. J’ai eu envie de réfléchir à une DA particulière en fonction des morceaux, pas juste faire de la photo de presse basique.
Tu as eu un rôle important sur le projet Couleur de ma peine de Zamdane. Tu as fait la cover mais tu étais aussi à la DA visuelle sur ce projet. Tu peux nous expliquer ton rôle dans la création artistique du projet ?
Au moment de la préparation de Couleur de ma peine, je faisais déjà partie de l’équipe en temps que photographe. Zamdane et son manageur Momo m’ont fait confiance et m’ont demandé de les accompagner de manière plus poussé.
J’avais envie de faire pleins de choses (photos/clip) et de m’investir à fond. On a réfléchi à tout ensemble. Zam avait déjà pleins d’idées, il avait besoin de quelqu’un pour l’aider à les structurer et les mettre en image : de l’idée de la cover, à comment relier celle-ci dans les clips, à comment travailler la cover pour que le CD soit beau en physique. On a créé l’univers visuel de Couleur de ma Peine tous ensemble. C’était un vrai plaisir, j’ai beaucoup appris autour de ce qu’on a fait et je suis hyper fière de nous !
Pour revenir sur ta question précédente, c’est ça le projet sur lequel j’ai le plus aimé bosser de ma carrière.
Capou et L’As à la soirée de lancement de l’exposition L’Oeil Féminin sur le Milieu du Rap par @88northside
Comme tout le monde tu as dû connaître des moments de doute dans ton travail, quelle a été ta motivation pour surpasser ces moments-là ?
J’ai souvent eu de gros down, que ça soit par surcharge de travail ou des déceptions parce que je travaille beaucoup avec le coeur.
Dans ces moments là, j’appliquais le conseil que je donne plus haut : je me rappelais pourquoi je le faisais. Je me dis toujours que j’ai tellement de chance de pouvoir faire un taff qui me plait, qui me fait voyager, rencontrer des gens et je me re-motive.
Dans ces moments-là, je me force beaucoup à prendre du recul aussi et du temps pour moi. C’est nécessaire, il n’y a pas que le travail dans la vie, ni le rap.
Pour revenir sur ton exposition, c’était important pour toi de faire une 2nde édition ? Qu’est-ce que représente cet événement pour toi ?
C’est une sorte de concrétisation. La 1ère édition, c’était justement dans le cadre de mes études : je devais faire un projet grandeur nature autour d’une problématique.
C’était donc une manière de la refaire des années après mais de manière beaucoup plus pro. De voir qu’en 4 ans j’ai grandi dans mon travail, j’ai su me faire un nom et rencontrer pleins de gens. Ça permet de se rendre compte de son travail, de faire un bilan sur sa place dans ce milieu et ça fait du bien.
Au-delà de l’expo, il y a également une soirée avec des concerts et des DJ Set. C’était important pour toi de célébrer avec ton équipe et tous les gens qui suivent et apprécient ton travail ?
Oui clairement. Mon projet justement, c’est pas qu’une exposition, c’est un tout.
“L’oeil féminin sur le milieu du rap” : c’est moi tout simplement. Et moi j’aime ce milieu pour tout ce que je crée dedans, pas que via mon art mais aussi les liens que je crée d’où l’idée de faire jouer des artistes importants pour moi et de célébrer.
On voit que tu travailles beaucoup en famille. C’est aussi l’occasion pour toi de tous les réunir lors de cet event. C’est important pour toi de travailler uniquement avec des personnes avec qui tu t’entends bien humainement ou ça t’arrives d’accepter des projets avec des personnes que tu ne connais pas du tout ?
C’est aléatoire. Pour moi, c’est un point central dans ma carrière. Les artistes avec qui je travaille souvent, c’est forcément des gens avec qui j’ai créé de vrais liens.
Au-delà du fait que ça soit un vrai bonheur parce qu’on vit des moments de fou tous ensemble grâce au rap, c’est aussi important artistiquement je trouve. Plus tu connais un artiste, plus tu peux imager ce qu’il est ou ce qu’il ressent.
Après ça reste un travail donc je peux très bien accepter des missions avec des gens que je ne connais pas.
Est-ce que cette exposition est ta manière de dire à tous les jeunes qui te suivent qu’avec du travail et la passion tout est possible ?
C’est un message fort que t’envoies, notamment pour les jeunes filles qui ont encore cette vision biaisée d’une industrie très masculine !
À fond ! Je trouve ça hyper cool que ces derniers années il y ait de la lumière sur tout les métiers de l’ombre. On en parle, y’a des talk qui se font, des formations,… Je trouve ça mega bien pour tous les jeunes qui savent pas trop quoi faire et qui aimeraient bosser dans la musique. Quand j’ai commencé il y a 6 ans, il n’y avait pas tout ça.
Très logiquement, j’aime pouvoir transmettre à ma manière, que ce soit à travers cet événement, le talk qu’on a eu samedi ou même au quotidien sur les réseaux en prenant le temps de discuter avec ceux qui ont des questions sur mon taff.
Je reçois de plus en plus de messages et surtout de meufs qui me disent que je les inspire ou les motive, que ça leur fait un repère féminin dans ce qu’elles ont envie de devenir et je trouve ça fou. Déjà ça me touche grave, mais je suis surtout honorée de pouvoir, à ma petite échelle, motiver d’autres femmes. C’est ma plus grande victoire.
Zamdane à la soirée de lancement de l’exposition L’Oeil Féminin sur le Milieu du Rap par @88northside
Concernant l’organisation d’un tel événement, ça doit être un projet sur lequel tu travailles depuis un moment. Comment s’est passée l’organisation de l’exposition et de la soirée ? As-tu rencontrer des difficultés particulières ?
En effet, c’est beaucoup de travail. Ça fait des années que je pense à refaire une édition mais le timing m’en empêchait. Là, ça fait depuis septembre que j’étais en discussion avec La Place, mais le temps de trouver une date et que les étoiles s’alignent, ça a prit beaucoup de temps. Ensuite, c’est vers février que j’ai commencé à tout monter dans ma tête, les artistes que j’avais envie de faire jouer, le format que je voulais, faire des budgets,…
Puis, tout s’est accéléré début avril quand une date s’est libérée (en panique car de base la date devait se faire en juin). Du coup, j’avais 1 mois et demi pour tout organiser. J’ai eu la chance d’être accompagné par Feel Event et Yousra Benine, donc je n’avais pas tout à gérer toute seule.
Mais c’est vrai que sur la partie artistique, par rapport aux artistes que je faisais jouer ou encore mes choix de tirages, c’était à moi de gérer et c’était pas mal de travail. En 6 ans de travail, j’ai beaucoup de photos… faire des choix c’était dur ahah. Les 10 derniers jours c’était beaucoup de stress, mes tirages étaient toujours pas arrivés… mais on l’a fait !
J’ai aussi beaucoup de chance d’être bien entourée. Mes proches me soutiennent dans ce que je fais, ils m’ont énormément aidés dans les derniers jours, que ça soit physiquement ou moralement.
J’aimerai parler avec toi de ton côté entrepreneur et de comment tu structures ton travail. Tu travailles en indé’ ou tu fais parti d’une structure et d’une équipe, que ce soit pour la photo our pour l’organisation de ce type d’événement ?
Je suis en indé, j’ai mon auto-entreprise depuis que j’ai 18ans. C’est pour ça que pour organiser ce genre d’événements, il faut collaborer avec des gens.
L’indépendance, c’est bien sur pleins de points : gérer son planning, ses horaires, pouvoir bosser où on veut, accepter que des projets qui nous parle.
Après il y a des limites parce que ça reste un milieu incertain. Tu peux enchainer les contrats pendant 3 semaines non stop et ensuite avoir un trou de 2 mois. Après, il y a aussi les délais de paiement… tu reçois pas de salaire tous les mois. Enfin, il y a l’administratif pour moi, je suit une angoissée de ce genre de truc.
Maintenant que la soirée est passée, tu peux nous faire un retour dessus ? Tu as kiffé ?
Je suis très contente, c’était vraiment une soirée magique !
J’ai vécu un moment incroyable avec les artistes qui ont performé. On a fêté en famille, qu’ils soient tous venu jouer pour moi, ça me touche énormément. Je pense que cette énergie s’est ressentie avec le public. Il y avait une trop bonne énergie globale.
Pleins d’artistes avec qui je travaille sont passés me voir. Ma famille était là. Des amis d’enfance que je vois jamais parce que justement mon travail me prend beaucoup de temps.
Rim’K est passé me faire une surprise. Je parlais de lui quelques jours avant dans un interview en disant que lorsque j’ai commencé à bosser avec lui, c’est le moment où mon père a été le plus fier de moi… alors imaginez moi quand j’avais mon père sous les yeux en train de regarder mon exposition avec lui.
Puis de voir tous ces gens qui venaient pour voir mon travail, discuter avec moi, c’est un truc de fou. C’est dans ces moments là où je prend un peu de recul et que je réalise tout ce qui se passe pour moi. J’enchaine tellement depuis 6 ans que des fois je réalise pas tout ce que j’ai pu accomplir. Je me sens chanceuse et reconnaissante.
Désormais, c’est quoi la suite ? Quels sont tes projets pour les prochains mois ?
On va essayer de se reposer un petit peu déjà… ça c’est cool comme projet.
Sinon j’ai quelques dates avec Burna Boy et en juillet on joue aux Ardentes avec ma team Raplume ça va être incroyable.
Quelles sont tes ambitions pour le futur ?
Continuer de faire ce que je fais. Continuer de le faire en famille avec le coeur.
Merci beaucoup Roxane !
Roxane, Zamdane et L’As à la soirée de lancement de l’exposition L’Oeil Féminin sur le Milieu du Rap par @AntoineDuchamp
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