Rédigée par Eline H. / Mise en page par David D. Temps de lecture 12 mn.

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Depuis quelques mois, Le Monde Daho s’impose comme une figure intrigante de la scène musicale émergente. Son premier projet, Le Monde 00, marque le début officiel de son parcours musical : une introduction, une expérimentation, une carte de visite où il esquisse les contours d’un monde à son image.

Au fil de notre échange, nous avons autopsié ce projet, décomposé ses textes, exploré ses inspirations et ses aspirations. Entre son attachement aux visuels, son écriture instinctive et son ambition assumée, Le Monde Daho construit patiemment son univers, avec la ferme intention de devenir une superstar et de marquer son époque.

DansLaCiudad : Quel est ton ressenti après la sortie, il y a quelques semaines, de ton premier projet ? Comment vas-tu ?

Le Monde Daho :  Je me sens soulagé, content et pensif. Soulagé car c’est l’aboutissement d’un long travail de deux ans. J’ai l’impression que c’est des années de travail qui aboutissent sur un examen final : la sortie du dernier projet. Je suis très content des retours qu’il y a eu. De notre côté {ndlr: avec l’équipe} on a beaucoup écouté les sons, donc l’impact qu’ils peuvent avoir on ne les ressent plus comme la première fois. Pensif car il faut maintenant penser à la suite.

©Léa Syh

Ton premier projet se nomme donc “Le Monde 00”. Pourquoi ce titre ?

Ça fait écho à “Le Monde Daho”. Ça fait aussi écho à l’étape à laquelle je suis actuellement dans la création de mon univers : je suis au monde zéro. Un peu le monde test, la draft. Mais ça colle bien au projet. C’est un projet dans lequel on a pris le parti {ndlr: avec l’équipe} de montrer une carte de visite et de tester des choses.

Quelles sont tes inspirations généralement ?

Il y a des styles artistiques qui m’influencent beaucoup. Il y a tout ce qui est cinématographique, littéraire… J’ai eu des auteurs qui m’ont marqué par leur style d’écriture. Je n’ai pas lu beaucoup de livres dans ma vie, j’écoute surtout des livres audios. Mais par exemple, la narration de La Chute d’Albert Camus je l’ai trouvée vraiment folle. Le Petit Prince également, qui est selon moi le meilleur livre du monde tant dans son écriture que dans sa morale. L’écriture est simple sans être simpliste, et le potentiel d’interprétation de ce livre est énorme.

Tu parlais de cinéma, et je trouve d’ailleurs que tu accordes autant d’importance à tes sonorités qu’à tes visuels.

C’est important. Et dès le début, j’ai dit que si je faisais de la musique, il fallait nécessairement qu’elle soit adossée à une image. Ça augmente la qualité et la compréhension musicale, et pour moi les deux vont ensemble : ce qui est raconté dans une musique peut très bien l’être dans un film. Et les clips je les vois comme des mini-formats de film.  

«…si je faisais de la musique, il fallait nécessairement qu’elle soit adossée à une image..»

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Je te propose qu’on commence l’autopsie de ton projet.

Dans l’intro, Habitude, une des premières phases c’est : “l’habitude ça me manque”.

Et j’ai remarqué que dans l’ensemble du projet cette notion d’habitude revient beaucoup, notamment dans Tournure où tu dis “Je ne peux pas finir, on n’a pas pris l’habitude de me dire qu’il est dur de perdre l’habitude”.

Quelle est ta relation à l’habitude ? Pourquoi cette notion revient souvent ? 

La question est intéressante parce que lorsque tu fais de la musique, tu écris, et en fonction des termes qui apparaissent le plus souvent dans ta vie, ou que tu emploies le plus, il y a en a qui reviennent de manière récurrente. Souvent dans les sons, il y a une partie instinctive et une partie pensée. Et instinctivement dans mes sons, je trouve que l’habitude revient souvent. Mais elle peut renvoyer à beaucoup de choses, il y a plein de manières différentes de prendre le sujet et puis c’est un terme qu’on emploie régulièrement. Si on faisait un benchmark des mots les plus utilisés dans la langue française, “habitude” reviendrait le plus souvent. C’est un des premiers sujets dont j’ai eu envie de traiter.

C’est le premier son que tu as écrit ?

Non, le premier son que j’ai écrit c’est Tout feu, tout flamme. J’espère qu’un jour il sortira.

Dans le refrain de Tennessee, tu répètes “On a tous quelque chose de Tennessee”. C’est une référence à Johnny Hallyday ?

Bien sûr, mais pas seulement. C’est aussi une référence à la boisson {ndlr: Hennessy}. C’est un mélange lié à Johnny, à l’alcool et à la morosité.

Dans le même son, tu dis “On est dix dans ma tête, je suis pas tout seul”, et je ressens effectivement une sorte de folie dans ce projet. C’est quelque chose qui te qualifie au quotidien ?

Ce que je dis dans mes sons est sans doute le résultat de ce que je suis.

Je ne parlerais pas de folie mais plutôt de multiplicité. Être “dix dans ma tête” signifie plutôt que je suis tiraillé entre plusieurs choses, pas entre plusieurs personnalités. Je suis partagé entre des choses que je ne peux pas faire ou être en même temps, parce que je n’ai qu’un seul corps. Et il est difficile pour moi de savoir comment me répartir dans ce qu’on a envie de faire.

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Quelle est ta manière de créer ? Parce que dans Tennessee, une nouvelle fois, tu dis “Quand je fais un texte, je recommence. Je prends mon temps, je recommence. J’efface, je recommence”.

Comment je crée ? C’est le bordel (rires). Je suis en réflexion sur la question de savoir s’il faut vraiment que je me trouve une méthode d’écriture. Il y a une période où j’écrivais beaucoup. Mais j’ai arrêté d’écrire lorsque j’ai découvert à quoi pouvait ressembler le fait de poser sans écrire, et aujourd’hui je n’arrive plus à écrire. Je trouve ça moins instinctif, moins naturel. Ce qui peut être créé de manière instinctive demanderait souvent beaucoup de temps de manière réfléchie. Il y a moins de limites quand c’est créé instinctivement.

“On est plus dynamique dans la guerre, crois pas que je sois motivé par la paix” tu rappes dans Questions. La guerre est donc quelque chose qui te motive ?

Pas moi personnellement, Daho. Ce morceau raconte l’histoire d’un homme qui répondrait crument à des questions que sa partenaire lui poserait. C’est un texte construit sous la forme d’une discussion. Et l’homme qui répond fait un aveu : il se sent mieux dans la misère, lorsqu’il y a de la tension. En général, j’aime ce champ lexical de la guerre, de la destruction.

Ça signifie donc que lorsque tu écris tu ne parles pas forcément de toi ?

Bonne question. Non, je dois parler de moi mais de loin. Je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à écrire sur moi, mon quotidien, ma vie.

Pour une question de pudeur ? 

Je suis encore en réflexion sur le “pourquoi”. Honnêtement, je pense que je prends ma réalité au pied de la lettre, là où la réalité des autres je la prends plus à la légère. Je peux parler de ce que je pense, pas forcément de ce que je vis. Et ma manière de penser est déjà un positionnement, un bout de ce que je suis. Puis un artiste n’est pas nécessairement obligé de parler de lui, il est censé faire des choses qui parlent aux autres.

« Je peux parler de ce que je pense,

pas forcément de ce que je vis »

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Passons à Interlude du Monde.

Dans ce morceau, tu dis “Pourquoi suis-je en enfer ? L’enfer est beau seulement lorsqu’il est vu d’en haut”.

Et comme l’habitude, l’enfer et les démons sont des thèmes qui reviennent beaucoup dans ce projet. 

Il est plus facile pour moi de répondre à mon rapport à l’enfer qu’à l’habitude. L’enfer c’est un sujet qui me concerne plus, mais pas dans son sens premier. Plutôt dans sa représentation la plus faible, les états dans lesquels on ne se sent pas forcément bien, où on se sent vite asphyxié. Et je pense d’ailleurs que ce morceau, Interlude du Monde, est celui qui se rapproche le plus de ma réalité. J’ai le sentiment qu’il est plus personnel. Sans pour autant que ma vie soit une misère, et même sans aucune raison particulière, je peux très vite avoir l’impression d’avoir une existence difficile.

Et pourquoi avoir fait de ce morceau un interlude ?

En termes d’émotions, c’est le morceau qui ressort le plus du projet. Musicalement il est comme un petit courant d’air. Et au niveau de la construction, il ouvre la seule porte sur ce que je peux être.

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Il y a un seul featuring dans ce projet, avec Gengar Oz sur le morceau Agazza. Pourquoi avoir décidé de connecter avec cet artiste en particulier ?

C’est un artiste du même label – Choof – que moi. La musique tu la fais d’abord avec des proches, tu te sens plus à l’aise et ça facilite le processus créatif. L’idée de faire des featurings extérieurs m’est venue plus tard. Mais avec Gengar Oz on s’est posé et on s’est dit “viens on fait un son”, et on a construit quelque chose. C’est d’ailleurs un des textes que je considère comme étant le mieux écrit.

Tu parlais de featuring extérieur, quel serait ton feat de rêve ?

Flavien Berger. Je trouve ça trop fort musicalement, et j’aime beaucoup les connexions intergenres. Je trouve que ça augmente l’expérience musicale. En faisant ce genre de connexion, tu fais quelque chose que le public n’attend pas forcément de toi et c’est ça le vrai divertissement. Je pense que c’est la première mission assignée à un artiste : le divertissement musical.

Tu écoutes le rap émergent qui se fait aujourd’hui ?

Oui un peu. Mais j’écoute surtout d’autres styles musicaux, de la pop, de la néo-soul…

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Dans le morceau Caviar, ce qui m’a marqué c’est tes changements de flow. Ça m’a fait beaucoup écho au freestyle que tu as lâché dans l’émission “Moins de 10k” sur Mouv.

D’où te vient cette polyvalence ?

Je pense que ça vient du fait que les premiers artistes qui m’ont marqué sur la scène rap étaient polyvalents. Je pense à Kendrick Lamar, Nicki Minaj. J’ai aussi beaucoup évolué avec mon premier beatmaker, Sharkey, car au début il faisait des prods qui changeaient énormément, en termes de flow. C’est avec lui que j’ai commencé à rapper, donc je me suis vite adapté. 

“Je n’arrêterai pas le feu, donc je n’attendrai pas le show à l’Arena, les samedis à Bercy” tu dis dans l’outro.

C’est ton objectif de faire un show à l’Arena ?

Cette phase est celle qui se rapproche le plus de ce que je souhaite. Elle est conforme à ce qui m’anime, devenir une superstar et faire le show à l’Arena, même plus (rires). C’est ma quête principale.

C’est quoi être une superstar ? A quel moment tu estimeras que tu en es une ?

Superstar c’est défini par les autres, pas par toi-même. Donc c’est quand le public l’estimera.

Quel est ton top 3 du projet ?

C’est difficile car les morceaux sont assez différents les uns des autres. J’ai l’impression qu’ils sont dans des catégories différentes. Mais Le hit n’est pas ce que tu penses c’est sûr qu’il est dans ce top, il est trop efficace. En termes d’écriture, je mettrais Habitude et Questions ex aequo. Mais si je devais faire un top 3 final, je mettrais Le hit, Interlude du monde et Tournure.

Tu n’as pas de mal à te réécouter ?

J’ai un problème, c’est que j’écoute beaucoup mes sons. Beaucoup trop. Excessivement.

Dans mon processus créatif, je fais d’abord du son pour me plaire moi-même.

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Et si tu devais donner trois mots pour qualifier ta musique, lesquels choisirais-tu ?

Hasardeuse, parce que je saisis les phrases au vol.

Algorithmique, parce que dans ma manière d’écrire, souvent je fonctionne comme les machines : le mot qui arrive est le mot qui pourrait le plus probablement tomber.

Profond, dans le sens physique du terme. Si tu prends mes paroles, les interprétations que je pourrais leur donner se superposent. C’est quantique.

Tu réfléchis déjà à la suite ? Au prochain projet ?

Il y a beaucoup de singles qui vont sortir. Mais j’ai hâte du deuxième projet. Il faudra trouver comment il pourra être plus fort que le précédent.

Tu as d’autres concerts de prévus ? Peut-être une date solo ?

Ce n’est pas encore prévu. Mais si on fait une date cette année et qu’on arrive à la remplir, je me dirais que je suis sur le bon chemin pour devenir une superstar. Ça signifierait qu’en peu de temps on aura fait beaucoup de choses.

Et si je fais un concert cette année, il faudrait qu’il soit historique et représente directement ce que j’ai envie de faire.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter Daho ?

De devenir une superstar.

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