©Richard Mouillaud
Rédigé par Julien D.
Un certain grand lyriciste français voulait chanter pour ceux qui sont loin de chez eux, la plume sur laquelle on s’attarde aujourd’hui a, elle, plutôt tendance à rapper pour ceux qui sont bien de chez eux.
C’est en tout cas toute l’évidence qui transpire des textes d’Okis, rappeur lyonnais volubile qui sait toujours consacrer quelques mesures à sa ville et plus encore à son club, le mythique Olympique Lyonnais. Car avec la sortie l’an passé de Rêves d’un rouilleur, le rhodanien a posé l’une des pierres emblématiques de sa jeune mais déjà sérieuse carrière, dont on perçoit déjà les principaux piliers : et parmi les plus solides, le football.
Bien que l’OL contemporain soit à la peine, les heures de gloire du club ne sont pas si lointaines et Okis, en pleine vingtaine, a pu se délecter avec ses yeux d’enfants des différents titres glanés au début des années 2000 par l’équipe de Jean Michel Aulas. C’est peut-être pour ça que maintenant qu’il écrit, le gone donne vie à ses plus beaux souvenirs en parlant abondamment de ballon : une source d’inspiration qui semble inépuisable et omniprésente chez un artiste qui n’a publié qu’une trentaine de titres dans sa jeune carrière.
Alors, préparez de quoi grignoter et attendez-vous à avoir pas mal d’onglets google ouverts à la lecture de cette chronique. Parce que pour Okis comme pour tant d’autres supporters de France, aimer son club, c’est…
L’excitation des jours de match
Un week end qui s’achève, c’est 5 jours de plus à attendre la prochaine journée de Ligue 1. 5 jours à suivre l’actu du club, 5 jours à laisser l’excitation monter jusqu’au réveil fatidique. Le jour J, c’est l’horaire du match qui rythme ardemment mais lentement l’intégralité d’une journée intenable, laissant l’adrénaline monter jusqu’à la délivrance matérialisée en un lieu sacré : le stade.
Après avoir connu ses heures de gloires dans l’enceinte de Gerland chère aux rhodaniens et désormais utilisée par les rugbymen du LOU, l’Olympique Lyonnais évolue depuis quelques années au Groupama Stadium, projet gargantuesque concrétisé par la vision entrepreneuriale de Jean Michel Aulas. Implanté à Décines-Charpieu, l’initial Parc OL voit le jour en 2016, 3 ans après la pose d’une première pierre. Critiqué pour être moins accessible, plus froid, ce projet grandiose a mis du temps à convaincre les lyonnais à faire le deuil de Gerland qu’Okis voit comme une terre d’histoire.
Ça ne l’empêche pas de se sentir à l’aise à la maiz comme à Décines, dont il rappe les joies, déjà attaché à des emplacements précis comme Kop VN et bloc 1-2-2, abréviation du Virage Nord animé par les Bad Gones pour le premier et secteur du Virage Sud pour le deuxième.
L’amour d’un club en un clip
Mais si la ferveur d’un stade et ses autres émotions sont communicatives, il faut parfois se contenter d’un écran pour assouvir sa piqure hebdomadaire de Ligue 1. Une alternative de plus en plus inconfortable avec la répartition variable des affiches entre diffuseurs d’année en année synonyme de vrai casse-tête organisationnel et, pour les moins fortunés, de pénible recherche de diffusion pixellisée sur IPTV, Telegram ou autre Discord. (Moyen mémotechnique : sur Canal le samedi à l’heure du dîner, le dimanche à l’heure du goûter, tout le reste sur Amazon).
Ce calendrier complexe travaille notre rappeur jusque dans son sommeil : « cette nuit j’ai rêvé d’un multiplex de 15h ». A moins que ce rêve ne soit que le cauchemar de voir son OL perdre en qualité et finir par rejoindre durablement les équipes habituellement représentées dans le multi de 15h, celles du ventre-mou et du bas de classement, celles pour qui l’éclat des trophées a la saveur de l’inaccessible…
Si 15h est un vaste problème, le calendrier peut aussi causer d’autres désagréments : « Il faut bien que l’OL joue à 13h pour qu’j’me lève le matin ». Qu’Okis continue à bien roupiller, Lyon n’a joué que 2 matchs à 13h cette saison et, avec seulement matchs non-programmés d’ici la fin de l’exercice 23/24, son sommeil ne risque pas d’être bousculé.
Des images plein la tête et le goût pour la technique
Sûrement le dénominateur commun au rapport étroit qu’entretiennent rap et foot, la technique est au cœur des débats. « Comme bilon j’te fais la description » : c’est parfaitement conscient de sa responsabilité qu’Okis rappe, tant pour dévoiler de bons placements que pour mettre en lumière ce qui passe sous son regard. (référence à un grand moment de télévision où Nabil « bilon » Fekir prouvait qu’il est aussi bien à l’aise avec un ballon qu’avec une langue étrangère)
Suivre un club pendant des années, c’est la garantie de se remplir l’esprit d’images, voir évoluer des prodiges et des personnages plus anecdotiques mais néanmoins marquants. Okis peut donc se vanter d’avoir vu de ses yeux « l’ascension du K » (comprendre Benzema).
Mais comme tout sport qui se respecte, le foot peut aussi mener le spectateur à s’identifier aux acteurs. Habilement, Okis se targue d’avoir l’« ego gros comme les mollets de Shaq’ » (photo à l’appui) mais, en grand prince, il sait faire son autocritique : « j’tiens un peu de Tanguy, j’suis nonchalant ». Là, la photo ne suffira pas, c’est l’intégralité des déplacements et attitudes de Tanguy Ndombele qu’il faut prendre en compte – petit rappel en vidéo.
Son sens du collectif cultivé par le foot contamine même sa vision de ses proches puisque d’après ses dires « Maman tricote comme Memphis en 2017 ». Personne ne pourra le prouver en dehors du cadre familial mais, si on se souvient un peu de l’arrivée de Depay à l’OL, on envie l’épaisseur des pulls avec lesquels Okis doit passer l’hiver. Le textile, c’est d’ailleurs tout un sujet pour le gone, car non content d’en faire un titre, notre rappeur de la Croix Rousse a évidemment quelques pensées pour les beaux maillots qui l’ont marqué et arbore fièrement son blason dans ses clips. Les plus évidents sont ceux de l’OL des belles années floqués « Everest Poker, Renault Trucks, LG, Novotel », avec une pensée plus particulière pour une soirée d’anthologie du football français : « J’ramène l’espoir comme Licha floqué Kool Shen ».
Si l’initiative marketing n’a pas été bien accueillie par tout le monde, la date de l’opération est certainement une pierre angulaire dans la construction d’un garçon qui découvrait fortuitement la magie de la rencontre entre rap et football. Pour l’anecdote, Kool Shen est réputé doué au foot et aurait pu aller jouer au RC Lens quand il était adolescent. Il s’était exprimé sur le sujet « Moi qui suis un passionné de football, lire mon nom sur le maillot du septuple champion de France est un grand honneur. Je suis fier d’être le premier artiste à bénéficier de ce genre de promotion. ».
Évidemment, l’esthète ne peut par définition pas être intégralement chauvin puisque la beauté peut se trouver partout et il faut savoir détourner le regard de ce qu’on connaît pour la découvrir sous d’autres formes. Véritable amoureux du beau jeu, Okis a su regarder ce qu’il se passe en Angleterre ou en Espagne, c’est d’ailleurs pour ça qu’il « contrôle comme Dennis à Arsenal, comme Curtis à Manchester » et que « la séquence est barcelonnaise ».
Heureusement pour lui, notre gone a trouvé un autre fanatique à qui parler en la personne de Limsa d’Aulnay. Liés par la précision et l’amour du ballon, les deux artistes se sont associés pour un son dont le refrain est également très imagé, au cours duquel chacun trouve son alter ego élégant balle au pied (« Garrincha, Licha, Okis, Limsa ») pour finir « bouche bée comme Islam Slimani », moins élégant mais dont la trogne marque les esprits.
« …si j’étais riche, j’rachèterais l’OL… »
Courir après des rêves, croire en l’avenir
Alors, forcément, quand on a la tête bourrée d’images et qu’on s’habitue au spectacle, on se prend à rêver. Pour un artiste à l’imagination débordante comme Okis, ça peut aller loin, jusqu’à renier son attachement aux valeurs populaires et solidaires pour devenir un grand capitaliste et clamer « si j’étais riche j’rachèterais l’OL ». Mais les chemins qui mènent à la richesse ne sont pas tous si éprouvants à en croire le gone qui fantasme secrètement sur « un salaire et rien faire à la G. Sertic ». Modèle de prospérité, l’ancien joueur bordelais a bénéficié d’un beau contrat (estimé à 2 millions d’euros par an) en endossant les couleurs de l’OM, sous lesquelles il ne jouera pourtant que 19 matchs en 3 saisons. Un beau braquage, en somme, pour celui qui a même réussi à se glisser jusqu’au poste de chroniqueur sur Canal + peu après sa retraite.
Mais le rêve pour un supporter, ça concerne aussi et surtout l’aspect sportif. Croire en la jeunesse, vouloir voir les jeunes coqueluches et espoirs confidentiels d’aujourd’hui devenir les stars de demain. Et dans ce cas, en bon chauvin, notre rappeur lyonnais aime faire valoir la formation lyonnaise.
Entre « Bard Cherki Rafia, 6.9 la masía, zin y a la recette », nous assure-t-il. Une masia catalane qui provoque la même animosité chez un autre Lyonnais en la personne de Tedax Max, qui assume lui préférer « l’Olympique d’Essien » en clippant à la sortie de métro du Stade de Gerland. Ça ne s’invente pas.
Cette qualité de formation, il faut aussi savoir regarder derrière dans la poussière ou l’anonymat pour l’apprécier. Pensant à « D’arpino », exilé à Orléans puis en Belgique après des débuts prometteurs dans le Rhône, Okis ne cache pas sa crainte de l’échec quand il affirme « j’vais floper comme Tafer frère », mais conserve certains modèles de réussite au détour d’un « J’traine vers Lyon-Duchère comme un jeune Lamouchi ».
C’est conscient de tout cet héritage qu’il mise sur ses pépites quitte à se faire mal à la rétine : « Si j’me tape du Ripoll frère c’est pour voir Amine titu’ » (balle perdue mais méritée pour Sylvain Ripoll). « J’ai dit Rayan, j’ai pas dit Gosling ».
Pas dans Barbie, plutôt barbu, c’est donc sur Rayan Cherki qu’Okis a placé ses récents espoirs comme beaucoup de lyonnais après le départ d’Amine Gouiri.
A quand l’invitation d’Okis ?
A force de pister le talent, on en devient exigeant. Des joueurs brillent, mais d’autres déçoivent. Là encore, le rappeur se compare avec adresse avec les traits de certains acteurs du foot français pour livrer ses défauts : « J’fais pas d’effort comme Tousart à la relance », pour rester dans le cadre lyonnais, et « J’ai deux trois mecs à dos, moi et l’pet, mauvais duo Rolland-Mercadal », quand Courbis faisait couler Caen en Ligue 2 avant de se reconvertir en parieur bancal sur RMC. L’exigence, notre gone l’applique parfois aux autres. Lorsqu’il affirme « Comme Maxwell t’es mal placé », il ne fait que partager le constat de beaucoup de supporters et du joueur lui-même. Mais quand on touche à l’ex-pépite Aouar, l’improvisé tacticien en devient chafouin : « Ceux qui disent qu’Houssem est pas un 10 moi j’les sépare en deux ». Cette fixette sur le poste de prédilection du joueur, Okis l’incarnera à merveille dans La meuf du snack. « J’ressors un p’tit pet que j’crack comme Houssem en 10 », la syllepse est superbe, et c’est tout l’art du rappeur qui est synthétisé dans cette phrase.
Des ennemis et des mauvais souvenirs
Entre l’exigence et le conflit, la frontière est parfois fine pour les amateurs de foot. Le milieu lyonnais le sait bien et Okis nous le rappelle souvent en citant différents acteurs, « J’aime pas l’danger mais pardon si j’allume une mèche en partant à la Rudi le clown » témoignant de son désamour pour certains entraineurs passés par l’OL, tout comme le cynique « Les murs me critiquent plus que Puel ». Ces affronts portés à Claude Puel via des tags ont une source évidente : la prise de poste chez le rival territorial historique stéphanois.
Difficile de ne pas évoquer cet élément central du supporters lyonnais au cours des paragraphes précédents, il était prévisible qu’Okis consacre quelques phases bien placées contre les ennemis de Saint Etienne, identifiables par leur couleur verte emblématique. Comme le rappelle le lyonnais, « Ça vient du 69 ici », « ça fête pas d’Saint Patrick (pas d’vert dans l’69 la trik) », attribuant les plus sombres caractéristiques aux voisins : « Toxique comme une garo, comme la Loire ». Quand tu végètes en Ligue 2 malgré ton prestige et qu’on te prête la nocivité d’une clope, il y a de quoi mal le prendre.
L’origine pourrait presque porter la poisse à en croire Okis qui rappelle « comme Ghoulam, mauvais Saint Priest ». Chronique rap, chronique foot, on sait plus vraiment où on en est et on finit par parler géographie : entre le Saint Priest en Jarez natal de Faouzi Ghoulam et le Saint Priest rattaché à la métropole lyonnaise, devinez lequel est le bon et lequel est le mauvais. En tout cas, on peut aisément supposer que la date prévue à Saint Etienne dans le cadre de la tournée imminente d’Okis est soigneusement attendue.
En marge de ça, les préoccupations du gone sont bien plus sobres, alternant entre adversaires d’un soir (« frère j’me méfie bien des flics et des parades tah Akinfeev ») et les arbitres (certains trouveront cocasse qu’un lyonnais se plaigne de l’arbitrage). Okis qui se sent « vla lésé par Benoît Millot » doit certainement trouver le chemin du pardon cette saison, puisque l’arbitre officiait lors de la récente victoire de l’OL en coupe face à Lille (les lyonnais n’ont d’ailleurs perdu qu’1 des 4 autres matchs sur lesquels il est impliqué, de quoi espérer de meilleures relations entre eux deux).
Benoît Millot doit lui-même se sentir vla lésé par son coiffeur !
La lutte pour un football populaire
Outre les rivalités sportives et territoriales, les amoureux de Ligue 1 sont animés par un combat bien plus global. Après avoir rayonné et sportivement et économiquement, l’Olympique Lyonnais de Jean Michel Aulas déjà bien dans son époque a changé de cap en passant sous la houlette de John Textor, ancrant un peu en plus son appartenance au diabolique et un peu flou « foot business ». Peu de clubs en France peinent à rester entre les mains de propriétaires français, à conserver leur âme et leur identité, et c’est là tout l’enjeu du football contemporain. Car s’ouvrir à une dimension sportive plus compétitive et diversifier les sources de revenus, c’est souvent le signe d’une politique différente vis-à-vis de ses propres supporters (activité en tribune plus encadrée, tarifs à la hausse). Et ce changement qui heurte le football français, Okis semble le prendre de plein fouet, voyant son club de toujours perdre de sa superbe : « Rafia part à la Juve, Berto à Villa, Pierre K. à Milan, Macron part à la guerre ».
Ce n’est pas pour rien que le morceau fleuve J’arrive, envoyé comme premier extrait de l’album, débute par un constat blasé : « Fère, Aulas vend tout ». Une certaine déception comparée au jovial « Aulas m’a mis devant le cours de la bourse » entonné quelques mois plus tôt, qui relatait la réussite du mythique président sur un ton moins grave. Marxiste convaincu, l’engagé Okis partage cette vision désabusée à ses auditeurs en appuyant l’orientation business prise par son club et incarnée par un homme : « Comme Ponsot, j’suis précis dans les comptes ». Cette dualité des perceptions est concentrée dans une triste observation, toujours dans le son J’arrive, dans lequel l’artiste déplore « J’vois du foot, Ponsot voit des pourcentages ». C’est d’ailleurs une phase jugée inappropriée (laquelle ?) qui empêchera Okis et son équipe de clipper le son au Groupama stadium, selon les propos de Sandra Gomes.
Et de toute évidence, certains acteurs du football français forment déjà la figure de proue de cette vision d’un sport aseptisé et clinquant en perte d’identité : comment ne pas penser au Paris Saint-Germain, devenu symbole incontestable d’un football sans âme sous le joug qatari. C’est donc tout logiquement qu’Okis prend sobrement position en assumant sa vision du foot : « Nique ton Léo nique ton père l’Qatar ».
… c’est un grand romantique qui convertit sa sensibilité de spectateur discret en plume à la fois juste et créative…
Bien au-delà du supporter, Okis est un homme amoureux de ses terres, un citadin qui arpente ses rues les yeux grands ouverts pour abreuver une culture qui ne fait que s’étoffer et qui puise savamment dans la routine pour en sortir un relief unique. Son sens précis de l’observation enrichit son art et contribue à étendre la surface du puzzle lexical qu’il prend tant de plaisir à rapper entre jeux de mots et revendications, associant noms, lieux, idées et images. Rappeur avec un noble R, c’est un grand romantique qui convertit sa sensibilité de spectateur discret en plume à la fois juste et créative, et qui n’hésite pas à défendre ses valeurs. Rares sont ceux qui œuvrent à leur échelle pour faire perdurer une identité collective, alors saluons le cran décomplexé d’Okis.
Toutefois, si son amour pour l’OL facilite la plongée dans ses textes, ces-derniers sont si denses et référencés que d’autres prismes pourraient être mobilisés pour mieux comprendre et mieux écouter l’artiste : c’est là une marque d’immense talent.
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